Vivre ou survivre : quel est le coût actuel de la vie au Bénin pour un citoyen modeste ?

Vivre ou survivre : quel est le coût actuel de la vie au Bénin pour un citoyen modeste ?

Arnaud Éric Aguénounon

Plusieurs pays dans le monde ont fait de la lutte contre la précarité un combat permanent., comme le témoigne, si extraordinairement, le système social en France doté d’assurance santé, de diverses allocations, de prise en charge des chômeurs et des plus pauvres et d’autres avantages que l’État accorde à ses concitoyens.

J’écris sur le sujet de la précarité parce que dans le Bénin d’aujourd’hui, un Bénin qui a toujours existé à mes yeux et qui, par contre, vient d’exister pour certains, les pierres sont mises en avant et les hommes n’existent que pour chanter la beauté des pierres. Durant le premier mandat du régime du changement, je dénonçais dans mes articles et surtout dans mon livre, « La soif du pouvoir », l’apologie caractérisée du personnage providentiel -avec ses œuvres- qui dès le début de sa gouvernance avait mis une bonne partie de Cotonou en chantier.

Un Bénin qui a toujours existé à mes yeux et qui, par contre, vient d’exister pour certains

Je pense qu’il est du devoir de tout dirigeant de travailler pour son pays, et pour ses concitoyens. On n’a pas besoin de mettre en place une machine de propagande visant à hypnotiser les citoyens les empêchant de voir l’immensité de ce qui n’est pas encore fait. Il est aussi vrai que notre peuple ne sait pas que ses dirigeants ont des devoirs régaliens envers lui, et qu’il ne devrait pas se fondre en sujet-griot, mais qu’il devrait se constituer en institution critique et en veilleur.

Considéré ainsi, le peuple est la première des institutions de contre-pouvoir et constitue l’examinateur averti des acteurs politiques. Il a le devoir de leur dire ce qui ne va pas, ce qu’il vit, ce qu’il ressent, ce qu’il veut, ce qu’il espère, puis il revient aux gouvernants de discerner de la concrétude de la mise en œuvre des choses.

Il est vrai qu’écouter le peuple n’est pas spontané pour un dirigeant. En effet, l’actuel président français a tiré leçon des mouvements des « gilets jaunes » pour organiser un grand débat de proximité dans toutes les régions. C’est l’un des fruits de ce mouvement citoyen qui a fait l’objet de plusieurs ouvrages scientifiques. Près de nous, l’ancien régime organisait des sorties gouvernementales pour aller rencontrer les populations à la base, même si c’était plus politique que technique.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’apologie ou de propagande, mais plutôt d’une idéologie consistant à hisser les vitrines en ignorant ce qui est au fond. La vocation des dirigeants est de toujours aller aux fins fonds des choses, de dépasser ce qui est déjà fait et de voir au-delà des murs ; ils verront tout de suite la grande précarité de leurs concitoyens, surtout dans un pays pauvre comme le Bénin.

Je sais que, chez nous, ce sont les œuvres de pierres qui caractérisent un mandat présidentiel, mais à vrai dire, c’est largement insuffisant pour le bien du pays et des citoyens, par contre bien suffisant pour une réélection. Cela nous montre que chaque régime, qui passe, joue pour sa réélection et fait ce qu’il peut pour le pays, car les défis de la précarité sont nombreux. C’est justement pour cette raison que la gestion de l’État s’inscrit dans la continuité.

Aucun régime ne devrait se targuer d’être la solution à  toutes les précarités ou d’être le messie politique indispensable. Ce serait une prétention et une aberration ! A ce sujet, moi-même, et plus encore les citoyens anciens et sincères, nous savons tous ce que chaque régime politique a fait pour ce pays -sachant bien qu’aucun régime n’est parfait- que tout n’est pas forcément recommencement et que les choses ne bougent pas sans la main de l’homme.

Aucun régime ne devrait se targuer d’être la solution à  toutes les précarités ou d’être le messie politique indispensable

Faisons un petit jeu, 1980 n’est pas comme 1960, 1995 n’est pas comme 1980, 2003 n’est pas comme 1995, 2017 n’est pas 2003. Avons-nous évolué dans toutes les dimensions de la vie d’une nation ? Les années coulent et ne se ressemblent pas, mais c’est plutôt l’homme qui a le privilège de voir les années passées, d’être acteur dans le temps, et d’être même dans les arcanes de la politique et du pouvoir sur des décennies en traversant plusieurs régimes.

D’où vient cette idéologie de primauté du régime de la rupture sur tous les autres alors qu’il y a encore, en majorité, les mêmes acteurs politiques de ces trois dernières décennies aux affaires ou proche des affaires ? En y pensant, je me dis simplement que la politique est un jeu incessant de masques ; l’acteur politique, son éternel masque, ses intérêts et les honneurs. Néanmoins, il n’est pas impossible pour lui d’être bienveillant, intègre, détaché et humain. En réalité, dans un Etat, il y a, à la fois, continuité et discontinuité dans la structuration des politiques publiques.

Faisons un autre jeu, quand on prend une rue nouvellement bitumée, avec soins, et qu’on rentre dans chaque maison située au bord de cet ouvrage – bien vanté dans les médias et par les chantres du régime- pour saluer les habitants, qu’est-ce qu’on peut constater comme matière de réflexions ?

On touche du doigt la qualité de vie de ces concitoyens, on voit un peu leur quotidien, leurs activités, leur source de revenu, on constate ce qu’il mange (pouvons-nous, nous assoir et manger avec eux ?), on constate le couvert, le gîte, et les latrines. Attention, n’oublions pas l’habillement, la santé, le savoir être, le savoir-faire et même le loyer, les différentes factures à payer, le transport, le repas journalier.

On peut s’arrêter là ! En voyant cette liste, on découvre le quotidien et la vie du citoyen ordinaire de Cotonou avec sa kyrielle de problèmes de vie et de survie. Imaginons un peu la vie de l’ouvrier, de l’artisan, du chômeur, avec les enfants et l’épouse à la maison, du fonctionnaire radié, du revendeur, de la revendeuse, du débrouillard. Comment font-ils pour vivre ? La vie de leurs enfants et leur éducation, la vie de leur(s) épouse(s) ?

Ces différentes catégories de concitoyens sont, bien entendu, les plus nombreuses. Elles sont plus nombreuses que les salariés de l’État et des entreprises, elles sont plus nombreuses que les grand(e)s commerçants(e)s et les professions libérales.

On ne peut pas se dire bâtisseur d’un pays si on ne se met résolument au service du relèvement du niveau de vie de chaque citoyen où qu’il soit, et qui soit-il. Ne pas intégrer cette plus grande dimension de l’exercice du pouvoir, reviendrait donc à soigner uniquement la vitrine d’un pays, à travers les infrastructures, à gérer les salariés, à contrôler les entreprises, et à préparer la réélection

Plus loin des grandes villes du pays, les villages sont encore plus respectivement enclavés et pauvres. Leur alimentation, leur santé, leurs activités, leur déplacement, leur revenu, leur accès à l’eau et à l’énergie correspondent à la réalité ambiante. Les activités en milieu rural et lacustre, comme le champ et la pêche, sont assujetties à la nature.

Toutes ces précarités humaines concernent toute la pyramide de la gouvernance du Bénin actuel, depuis ces mairies non-incarnées dans la vraie décentralisation jusqu’à cet exécutif, passant par ce parlement unicolore. Le pouvoir judiciaire devrait assurer l’équilibre, la cohérence, l’équité et la sécurité.

Face à toutes ces précarités, les dirigeants doivent être détachés, humbles, lucides, sombres et dévoués. L’autoritarisme, le cynisme, la prétention, et la terreur dénaturent considérablement la conception de l’autorité qui est, par essence, un service de croissance de la personne humaine, de développement des structures, et de sauvegarde de toutes les vies, surtout les plus fragiles et précaires.

Alors, on ne peut pas se dire bâtisseur d’un pays si on ne se met résolument au service du relèvement du niveau de vie de chaque citoyen où qu’il soit, et qui soit-il. Ne pas intégrer cette plus grande dimension de l’exercice du pouvoir, reviendrait donc à soigner uniquement la vitrine d’un pays, à travers les infrastructures, à gérer les salariés, à contrôler les entreprises, et à préparer la réélection.

Il faut le préciser ici, la production de l’eau, la fourniture de l’énergie et le service sanitaire sont à payer par les citoyens. S’ils existent, ces dits services, comment les rendre alors moins coûteux pour la bourse des populations ? L’État est celui qui accompagne, construit, développe, éduque, protège, soulage et soigne ! Il a de l’intelligence, de la compassion, de la pédagogie, de la sollicitude et de la rigueur.

La rigueur est bien différente de la barbarie, de la terreur, et de l’exclusion. Sans l’application effective de la décentralisation, le dialogue inclusif, l’ouverture, la contradiction, l’écoute constante du peuple et la sérénité, aucun État ne peut véritablement lutter contre les précarités.


Crédit photo : happyinafrica.com

 

Arnaud Éric Aguénounon

Arnaud Éric Aguénounon est prêtre de l’archidiocèse de Cotonou. Écrivain-essayiste béninois, il est auteur de plusieurs livres, dont « La soif du pouvoir ». Il est également analyste des questions sociopolitiques et chroniqueur politique. Il est diplômé en Sciences de l’éducation et en Philosophie politique, et puis diplômé de l’Université de Bourgogne (France) en Relations internationales.

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