« Pour démarrer mon activité, j’ai pensé à plusieurs pistes, dont le financement participatif qui n’est pas encore ancré dans nos cultures et contextes africains », entretien avec Richard Odjrado, fondateur de la marque AS World Tech

« Pour démarrer mon activité, j’ai pensé à plusieurs pistes, dont le financement participatif qui n’est pas encore ancré dans nos cultures et contextes africains », entretien avec Richard Odjrado, fondateur de la marque AS World Tech

L’idée de créer une entreprise dans le secteur de la technologie

On m’a volé mes deux smartphones au cours d’une même soirée. Ceux qui nous lisent ont certainement vécu une fois une telle mésaventure. Il n’y a pas que la perte d’un objet matériel qui dérange, mais ce sont surtout les données qui nous échappent. Si ces informations se retrouvent dans les mains d’une personne malveillante, les dégâts seront considérables et irréversibles.

Après cette mésaventure, j’ai dû acheter un nouveau téléphone et je ne voulais pas que la même chose m’arrive à nouveau. Il n’y avait pas de solution préventive efficace sur place. Tout ce qui existait avait trait à des pseudo-solutions appelées antivol. L’insuffisance de ce mécanisme, c’est qu’on vous vole d’abord votre téléphone avant qu’il ne se mette en branle pour permettre de le géolocaliser ou le bloquer. Souvent, c’est trop tard parce que le voleur a suffisamment de temps pour disposer du bien volé.

Aujourd’hui, partout et à tout moment, votre téléphone peut être flashé en un laps de temps. J’ai donc décidé de développer ma propre solution. J’ai ainsi créé AS Watch, la première montre connectée africaine dotée du premier système antivol et anti-oubli préventif pour smartphone. Lorsqu’elle est connectée par Bluetooth à votre téléphone et que vous vous éloignez du téléphone par exemple, elle va vibrer pour vous avertir de la distance à laquelle vous vous êtes éloigné de votre téléphone. Vous recevrez un message du genre : « Attention vous êtes à 3 m, 4 m du téléphone, n’oubliez pas votre téléphone ». Si on vous vole votre téléphone, vous avez le temps de le récupérer avant qu’il ne soit trop tard.

Ayant développé ce produit dans un écosystème où l’entrepreneuriat n’est pas très favorable, j’ai rencontré beaucoup de difficultés. Au Bénin, nous n’avons pas des infrastructures et des laboratoires dignes de ce nom pour effectuer des recherches poussées, fabriquer des prototypes.

La seconde grosse difficulté est liée au financement. Spontanément, personne ne veut investir dans un tel projet. En décidant d’entreprendre dans le pays, vous assumez votre galère tout seul. Il fallait pour se développer, s’en remettre à la chance en espérant quelque chose du côté de la love money (« argent du cœur » ou « capital de proximité »).

J’ai ainsi créé AS Watch, la première montre connectée africaine dotée du premier système antivol et anti-oubli préventif pour smartphone

Ce sont des fonds collectés auprès des membres de la famille, des amis et autres relations. En France, afin de faciliter la création d’entreprises, la levée de « love money » bénéficie d’exonérations ou de réductions d’impôts. Pour démarrer mon activité, j’ai pensé à plusieurs pistes, dont le financement participatif qui n’est pas encore ancré dans nos cultures et contexte africain.

Il n’y a pas de capital-risque qui accompagne les jeunes entreprises au Bénin, peu importe leur potentiel de croissance.  Ces difficultés ont duré longtemps dans mon cas.

Après avoir achevé le prototype de la montre, il m’est venu à l’esprit de développer d’autres outils pour accompagner le premier produit. Pour moi, il y va de la souveraineté numérique africaine. Quand on va dans les magasins, il n’y a aucun produit high-tech qui porte des noms africains. On ne fabrique rien et on ne fait que consommer.

Il y a tout de même des défis à relever.

Ce sont les défis qui nous poussent à aller de l’avant et à nous recréer. Sans les défis, la vie est une sauce sans saveur. Nous sommes conscients de tous ces problèmes et nous travaillons à installer notre première usine d’assemblage au Bénin et bien sûr, dans les pays où le besoin se fera sentir.

Nous n’avons pas des infrastructures et des laboratoires dignes de ce nom pour effectuer des recherches poussées, fabriquer des prototypes

Définir le « solutionneur » dans un monde en crise récurrente et en pleine mutation 

C’est quelqu’un qui observe les problèmes et apporte des solutions efficaces et accessibles. Vous parvenez à résoudre un problème et après, cette solution devient un produit que vous pouvez commercialiser. Chaque jour, nous avons la chance en Afrique d’avoir des problèmes à résoudre.

Bien souvent, nous sortons d’une difficulté sans faire attention à la façon dont nous sommes parvenus à nous tirer d’affaire. Le principe de l’entreprise est simple : apporter une solution à un besoin précis. Il y a donc des projets d’entreprise derrière chaque difficulté que nous traversons, que ce soit ici ou ailleurs. Soyons simplement attentifs à tout ce qui se passe autour de nous.

Le défi du financement 

Je ne peux pas encore dire que j’ai réussi. Je continue de braver les difficultés. Mon expérience se résume en deux mots : persévérance et stratégie.  La persévérance est le carburant qui vous maintient en vie en vous épargnant de succomber au découragement. Sans une stratégie bien définie, vous ne ferez pas long feu dans votre domaine.

Les banques ne veulent pas prendre de risque. Vous devez donc apprendre à trouver de l’argent autrement. En vous posant les bonnes questions et en vous disant que cela est possible, peu importe l’environnement, vous arrivez à trouver des réponses sous forme de stratégies qui vous emmènent vers le but visé.

L’intérêt d’un fonds de garantie pour les petites et moyennes entreprises

Mon crédo, c’est la positivité. Maintenant, il ne suffit pas de promettre, il faut pouvoir se donner les moyens de passer à l’action. Nos dirigeants n’agissent pas. Certainement qu’ils font des choses, mais c’est insuffisant par rapport aux défis auxquels nous sommes confrontés. Je les exhorte à la volonté et à l’action concrète. Il faut que ces initiatives soient inclusives. Il ne faut pas qu’on délaisse les jeunes de Parakou pour ceux de Cotonou ou de Dassa pour ceux de Porto-Novo.

Quand on va dans les magasins, il n’y a aucun produit high-tech qui porte des noms africains. On ne fabrique rien et on ne fait que consommer

La justice sociale doit primer sur tout autre chose. L’environnement est de plus en plus hostile et on voit bien qu’au Bénin, le « cimetière des start-ups » est rempli. Chaque jour, on en enterre. C’est le moment de trouver des mécanismes de financement efficaces et pratiques. Ce n’est pas toujours aux jeunes entrepreneurs de courir après les bailleurs. Il faut que les décideurs puissent agir dans ce sens puisque, plus on a de grandes entreprises qui paient leurs impôts, plus on a les moyens pour financer le développement.

Mais on voit bien que la fin de la réticence des banques face aux start-ups en Afrique n’est pas pour demain. Vous ne pouvez pas obliger quelqu’un à vous aimer. Cependant, vous pouvez obliger qui vous voulez, à vous respecter par le travail, par les résultats. Vous pouvez imposer le respect, mais vous ne pouvez pas imposer l’amour.

Les banques ne vont pas changer du jour au lendemain. D’ailleurs, je ne pense pas qu’on ait de vraies banques en Afrique, on a plutôt de « géants tontiniers ». D’un autre côté, nous comprenons leur crainte parce que, lorsque vous prêtez à quelqu’un pour faire des affaires, vous vous attendez à un retour sur investissement. C’est la raison d’être de la banque. Elle veut s’assurer que vous ayez la capacité d’exécution ou que vous ayez eu à faire vos preuves une fois.

Il faut qu’on crée de nouveaux mécanismes de financement. Il n’y a que nos dirigeants qui soient capables de le faire en créant des institutions dédiées et en s’assurant qu’elles produisent du résultat. Ces structures doivent motiver les gens, leur donner le goût de l’investissement. Il y a des gens qui ont l’argent, mais qui ne savent pas ce que c’est qu’investir dans une start-up. Ce sera une façon d’avoir une économie nouvelle si on arrive à informer, sensibiliser et former ces bailleurs sur les opportunités de faire fructifier leur argent tout en aidant d’autres personnes à créer et innover.

L’environnement est de plus en plus hostile et on voit bien qu’au Bénin, le « cimetière des start-ups » est rempli. Chaque jour, on en enterre

Le secteur privé peut accompagner dans une certaine mesure. C’est pourquoi on veut se positionner comme un modèle. Je ne peux pas dire concrètement la forme que cette ambition prendra, mais il est clair que nous voulons donner l’exemple en montrant aux autres jeunes que c’est bien possible de lever des financements, en dehors des exigences bancaires.

 

 


Crédit photo : quotidienlatempete.com

Richard Odjrado

Formateur pour Meta (précédemment Facebook), Richard Odjrado est le fondateur de la start-up AS (Asuka Spirit) World Tech, une jeune entreprise spécialisée dans la fabrication des lunettes, montres connectées et ordinateurs. Il a fait ses études en Côte d’Ivoire et au Bénin. Ses inventions sont souvent l’émanation d’événements vécus auxquels il remédie par une solution technologique pour faire avancer la société. C’est ainsi que sa première technologie baptisée « isecours », facilite la prise en charge rapide des personnes victimes d’accident.

Pendant la crise de Covid-19, Richard Odjrado a mis au point « Byebye Covid », une plateforme permettant de faire son autodiagnostic et qui a reçu le soutien du gouvernement. Richard Odjrado est nominé aux Awards des entreprises et des institutions socio-économiques africaines 2022 dans la catégorie «Meilleur jeune entrepreneur».

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