L’élection présidentielle s’est déroulée dans un climat de violence mais la paix demeure au Bénin», entretien avec Fidèle Ayena, maître de conférences à la Faculté de Droit et science politique de l’Université d’Abomey-Calavi

L’élection présidentielle s’est déroulée dans un climat de violence mais la paix demeure au Bénin», entretien avec Fidèle Ayena, maître de conférences à la Faculté de Droit et science politique de l’Université d’Abomey-Calavi

Dans le cadre d’une série d’entretiens pour analyser le scrutin présidentiel du 11 avril 2021 au Bénin, WATHI est allé à la rencontre de Fidèle Ayena, enseignant-chercheur en Science politique et maître de conférences à l’Université nationale du Bénin. Dans cet entretien, il décrypte le rapport de force qu’il y a eu entre les acteurs et revient sur les germes des contestations violentes de l’opposition.

Quelles leçons tirez-vous de l’élection présidentielle du 11 avril 2021 au Bénin

La démocratie ne veut pas dire une « entente tous azimuts ». On a pu remarquer avant la tenue de l’élection, qu’il y a eu des poches de résistance qui ont continué à marquer les esprits. Les contestations ont fini par légitimer le processus électoral. La principale leçon qu’il faut en tirer est que, certes cette élection s’est déroulée dans un climat de violence mais la paix demeure. Les uns et les autres ont compris que si aujourd’hui, vous êtes perdants, demain la tendance peut s’inverser et ainsi de suite.

 

Qu’est-ce qui explique la large victoire du président Talon ?

Quand vous êtes un chef d’Etat, vous êtes un « animal politique ». Le président de la République avec sa connaissance de la classe politique, avait déjà mis en place tout ce qu’il faut pour verrouiller les institutions impliquées dans le processus de ce scrutin présidentiel.

Avec de nouvelles modalités comme le parrainage, la pléthore de candidatures qu’on constate à chaque élection, n’était plus d’actualité. Le parrainage a constitué le premier niveau de filtre. De la même manière, la Commission électorale nationale (CENA) qui est une autorité administrative indépendante agit avec les moyens pourvus par l’Etat.

La Cour constitutionnelle est une juridiction « politique » dans le sens où elle est là pour conforter également le chef de l’Etat. Ces deux institutions sont chargées d’organiser les élections et de proclamer les résultats. Donc, que le chef de l’Etat soit élu, il ne pouvait en être autrement.

 

Comment analysez-vous la participation des électeurs à ce scrutin ?

Les premiers chiffres annoncés ont démontré la faible mobilisation des électeurs. Ils montrent également qu’on a moins voté à certains endroits, du fait peut-être des violences et plus dans d’autres parties du pays considérés comme des fiefs du candidat arrivé en tête.

Ce n’est pas à partir du vote qu’il faut rechercher les agrégats de la cohésion nationale

Il faut également relever dans la participation au scrutin, une dimension affective du vote. La dimension ethnique du vote et la dimension régionaliste du vote ne sont pas à exclure. Le vote est d’abord un comportement territorial. Vous votez très souvent sans considérations, sans convictions politiques, pour le fils du terroir, tout simplement parce qu’il est de chez vous.

L’électeur comme agent utilitariste ou opportuniste parfois, exprime ainsi ses propres sentiments. Ces sentiments peuvent se retrouver en dehors de ce qu’on peut rechercher comme l’intérêt général, comme l’intérêt national. Ce n’est pas à partir du vote qu’il faut rechercher les agrégats de la cohésion nationale.

 

Comment expliquer ce cycle de violence inédit qu’a connu le Bénin ?

C’est évidemment par la voix de la contestation que l’opposition pourra toujours exprimer ses désaccords vis-à-vis du pouvoir. Que ce soit sur le plan juridique ou sociologique, l’opposition est légitime à contester l’action du pouvoir. En démocratie, nous devons rester des sociétés clivées sur le plan idéologique.

A travers ses prétentions, l’opposition exprime sa part de vérité. Je ne pense pas qu’on puisse faire un procès à l’opposition d’avoir des suspicions vis-à-vis de l’action gouvernementale. Ce serait restreindre les libertés politiques.

Les événements fâcheux ont laissé une tâche d’huile sur le processus électoral. Ils montrent qu’une partie de la population, ne se reconnaît pas dans l’action du chef de l’Etat

Pour ne pas rester dans un monologue qui ne serait pas démocratique mais plutôt autocratique, il faut souhaiter que l’opposition puisse revendiquer la transparence et l’impartialité. C’est dans cette confrontation entre l’opposition et la mouvance présidentielle, que le peuple lui-même essaie de se faire une idée de l’état du pays.

Par contre, la contestation qui entraîne des violences physiques voire mortelles, dénote d’une pathologie de la démocratie béninoise et d’un abus du droit de manifester. Les événements fâcheux ont laissé une tâche d’huile sur le processus électoral. Ils montrent qu’une partie de la population, ne se reconnaît pas dans l’action du chef de l’Etat.

 

Quelle influence la prorogation du mandat du chef de l’Etat de 45 jours a-t-elle eu sur le cours de l’élection ?

Les acteurs politiques se sont servis de cette question en essayant de mobiliser l’ opposition. Et c’est le point d’ancrage des violences que nous avons connues.

Le rapport de force a été biaisé depuis les législatives de 2019 et la dernière révision constitutionnelle. Pour gagner la bataille, Il aurait fallu que l’opposition renverse la vapeur en 2019 pour qu’on ne connaisse pas l’élection qu’on a eu en 2021

Je pense que si on doit rester sous l’emprise de la loi qui prévaut au moment d’organiser les élections, c’est la Constitution révisée. On peut donc penser que l’opposition qui prône l’assertion « 5 ans c’est 5 ans » a tort de le penser. Le rapport de force a été biaisé depuis les législatives de 2019 et la dernière révision constitutionnelle. Pour gagner la bataille, Il aurait fallu que l’opposition renverser la vapeur en 2019 pour qu’on ne connaisse pas l’élection qu’on a eu en 2021.

L’opposition s’est laissée phagocyter. Mais d’un point de vue institutionnel, ceux qui ont comme postulat, le refus de la prorogation du mandat du chef de l’Etat, ne raisonnent pas en dehors du droit ou de la loi fondamentale. Le chef de l’État a prêté serment le 06 avril 2016.  Son mandat court de ce 06 avril 2016 et échut le 06 avril 2021. C’est sur ces institutions-là, sur les lois qui prévalaient à cette époque-là, que le chef de l’Etat a été élu.

 

Quelle place la gouvernance démocratique a-t-elle occupé dans le débat politique ?

L’élection présidentielle de 2021 n’a pas révélé une nouvelle donne en matière de gouvernance démocratique dans notre pays.  La question de la gouvernance, c’est une ouverture, une horizontalité par rapport à des acteurs venant de divers horizons pour participer à l’action publique.

Le Bénin ne saurait maintenir ce choix de politiques tournées vers la verticalité puisque tout seul, on ne peut rien faire.  Le pays a toujours fait preuve d’ouverture et il est à souhaiter encore l’entrée et l’irruption d’autres acteurs dans la conduite de l’action publique pour essayer d’impulser cet essor de développement. On a vu des candidats mettre sur la table des propositions de réformes institutionnelles qui ne cadrent pas avec la réalité.

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