« La régression de l’apprentissage des mathématiques dans nos écoles peut avoir un impact sur l’économie et l’innovation. », entretien avec Richard Odjrado, fondateur de la marque AS World Tech au Bénin (deuxième partie)

« La régression de l’apprentissage des mathématiques dans nos écoles peut avoir un impact sur l’économie et l’innovation. », entretien avec Richard Odjrado, fondateur de la marque AS World Tech au Bénin (deuxième partie)

Rapports des innovateurs avec la politique

J’ai choisi d’être acteur du développement en tant qu’homme libre, en tant qu’homme d’affaires. La politique ne m’intéresse que lorsqu’elle touche au bien-être de la jeunesse. Il faut faire la politique autrement en suscitant l’éveil patriotique, en se demandant ce qu’on peut faire pour sa patrie. L’individualisme est ce qui nous enfonce chaque jour dans le sous-développement.

Quand vous avez des dirigeants qui ne pensent qu’à leur famille, vous avez un peuple qui n’avance pas. A contrario, dès que vous avez en face de vous des responsables qui pensent collectif, vous voyez une nette amélioration de la qualité de vie des populations. Nos pays pèchent au niveau de l’éducation.

L’avenir de l’Afrique est dans la cocréation, l’inclusivité du système éducatif, la synergie des compétences, des forces, des technologies et des réseaux. Les jeunes doivent apprendre à travailler ensemble, à devenir meilleurs ensemble.

Les localités rurales et les nouvelles technologies

Ma communauté, c’est l’Afrique. Je ne pense pas exclusivement à moi. C’est vrai qu’il faut partir de quelque part, mais ce quelque part pour moi, ce n’est pas Dassa-Zoumè, la commune du Bénin dont je suis originaire, mais c’est le Bénin. Le Bénin, c’est mon village et l’Afrique est mon pays.

Je rêve, partout sur le continent, d’une jeunesse épanouie, audacieuse, à qui on donne les moyens de réaliser ses ambitions. Il faut donner des modèles à la jeunesse. Mon rêve est donc de créer des infrastructures qui permettront à cette jeunesse d’oser et d’innover, d’être accompagnée sur divers plans dans la mise en œuvre de ses idées. Ventre affamé n’a point d’oreilles.

Quand vous avez des dirigeants qui ne pensent qu’à leur famille, vous avez un peuple qui n’avance pas

Il faut nourrir et soigner les jeunes avant d’attendre d’eux, qu’ils soient des génies. Si j’ai la possibilité de changer quelque chose à Dassa-Zoumè, ce sera de plus investir dans les infrastructures. L’économie numérique n’est pas une réalité dans la localité dont je suis originaire.

Quand on coupe le courant pendant deux semaines, voire un mois, vous imaginez ce que les entrepreneurs locaux vivent. Les gens sont dans la détresse et les activités économiques tournent au ralenti. Apporter de l’eau potable et de l’électricité dans toutes les maisons, c’est mon rêve pour ma localité. Il y a aussi le besoin de créer des centres de formation aux métiers du numérique. Pour satisfaire nos besoins de développement, on peut tenter une synergie entre les entrepreneurs chinois, français, américains et les investisseurs locaux. Je veux aussi voir mes parents cuisiner dans de nouveaux types d’habitats qui sont écologiques. Je n’exclus pas d’investir dans des projets de redynamisation des cités. Bâtir des cités intelligentes, vertes et écologiques fait également partie de nos prochains défis.

La perception dans les  systèmes de développement entre anglophones et francophones

Le système anglophone va droit au but, vite et bien. Il y a moins de protocole comparativement au système francophone. La base du système éducatif anglophone, c’est le travail en équipe dès le bas âge. Dans la région francophone, on ne peut pas avoir une dynamique qui puisse concurrencer  l’Afrique anglophone si nous n’intégrons pas l’aspect de la co-construction. Les meilleures start-up dans le monde sont à 80 % des entreprises anglophones, ce n’est pas un hasard. Pour avoir ce qu’on n’a jamais eu, il faut oser faire ce qu’on n’a jamais fait.  

L’impact du désamour des jeunes pour les mathématiques sur l’innovation

Il faut susciter l’intérêt pour les sciences. Ils veulent tous faire la littérature parce qu’ils croient que c’est moins compliqué. Pour redonner aux apprenants le goût des matières scientifiques, l’astuce serait de changer l’approche de l’enseignement.

Au lieu d’aller au tableau et de se mettre à tracer des lignes, abreuver de formules, pourquoi ne pas instaurer des cours interactifs où les élèves arrivent à créer eux-mêmes des choses. S’ils sont impressionnés par ce qu’ils voient, ils auront l’amour de l’apprentissage. On apprend mieux ce qu’on aime faire. La régression de l’apprentissage des mathématiques dans nos écoles peut avoir un impact sur l’économie et l’innovation.

Pour satisfaire nos besoins de développement, on peut tenter une synergie entre les entrepreneurs chinois, français, américains et les investisseurs locaux

Je fais partie d’organisations internationales de la propriété intellectuelle. Quand on commence à faire le bilan des innovations par an, l’Afrique ne fait même pas 1% de ce qu’on récolte. Les chiffres parlent pour les autres.

L’autre danger qui nous guette, c’est la perte de la souveraineté numérique. Aujourd’hui, ce sont les entreprises étrangères qui ont plus de données sur nous les Africains. Les plateformes et réseaux sociaux dont raffolent les populations africaines sont détenus par des Américains ou des Chinois.

Le jour où nous serons dans le besoin de ces informations, nous allons payer pour les avoir. C’est un danger que nous courons. Il faut encourager des entreprises comme AS World Tech, qui créent des produits avec des bases de données qui restent en Afrique. Dans nos administrations, on doit chercher à utiliser des outils informatiques d’origine africaine. Ce sera déjà un message fort.

Les leçons de la crise sanitaire pour le numérique et la technologie

C’était une opportunité. Comme d’habitude, l’Afrique est passée à côté en faisant de la « procrastination ». Les gouvernants ont tout mis sur le dos de la pandémie, même les difficultés qui relevaient de la mal gouvernance, on les a mises sur le dos de la crise sanitaire au lieu de chercher des solutions d’adaptation.

Dans la région francophone, on ne peut pas avoir une dynamique qui puisse concurrencer  l’Afrique anglophone si nous n’intégrons pas l’aspect de la co-construction

On a remarqué néanmoins un réveil chez les jeunes qui ont inventé différentes choses pour aider à contrer la pandémie. Au-delà des applications d’autodiagnostic, il y en a qui ont même proposé un vaccin. C’est un éveil important. Il faut maintenant suivre ces jeunes dans leurs idées de solution. Je vois une très belle génération émerger. La Covid-19 a enterré beaucoup d’entreprises et en même temps, elle en a révélé beaucoup d’autres.

La prochaine opportunité, c’est maintenant. Il faut se préparer à être plus réactif quand le monde va être confronté à une nouvelle crise d’une telle ampleur.

La place de l’écocitoyenneté dans les produits de AS World Tech

Les ordinateurs que je fabrique sont à 70 % recyclables et ont un indice de réparabilité plus élevé que la concurrence. Pour le consommateur final qui achète l’ordinateur, il va l’utiliser pendant longtemps et ne va pas vite le jeter. On aura donc moins de déchets informatiques et moins de surconsommation également. Ce n’est pas un vain mot, « l’écocitoyenneté », chez AS World Tech. Nous avons mis par ailleurs en place, un programme de sensibilisation à la protection de l’environnement.

Quand on commence à faire le bilan des innovations par an, l’Afrique ne fait même pas 1% de ce qu’on récolte. Les chiffres parlent pour les autres

Avec le personnel, nous sommes dans la dynamique de planter au moins un arbre chaque mois. Si toutes les entreprises se mettent dans cette logique, l’écocitoyenneté ne sera plus un vain mot.

Le retard de l’Afrique est un atout. Au moins, on a la chance d’apprendre des erreurs de ceux qui nous ont précédés, pour avoir le meilleur système de développement.

 

 


Crédit photo : lanation.bj

Richard Odjrado

Pendant la crise de Covid-19, Richard Odjrado a mis au point « Byebye Covid », une plateforme permettant de faire son autodiagnostic et qui a reçu le soutien du gouvernement. Richard Odjrado est nominé aux Awards des entreprises et des institutions socio-économiques africaines 2022 dans la catégorie «Meilleur jeune entrepreneur».

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