WATHI est allé à la rencontre de Khaled Igué, économiste béninois de la diaspora. Il est ingénieur de formation et fondateur et président du think-thank Club 2030 Afrique. Il travaille actuellement à la banque d’investissement Benoit & Associés en tant que chargé de l’Afrique.
On voit souvent l’Afrique subsaharienne comme un exemple de démocratie électorale sur le continent et pourtant selon les projections de la Banque mondiale pour 2030, 9 des 10 personnes les plus pauvres du monde vivront dans cette partie du monde. Quel lien faites-vous entre démocratie et pauvreté ? Pour son développement, quel modèle faudrait-il mettre en place en Afrique ?
Tout d’abord, je souhaiterais vous faire remarquer que les deux termes que vous évoquez à savoir la démocratie et le développement restent à nos jours des termes porteurs respectivement d’un idéal inachevé. Les questions de démocratie et de développement souffrent encore d’une relativité dans l’appréciation selon l’endroit du globe où vous vous situez. Je voudrais aussi ajouter qu’il n’existe pas de modèle de gouvernance africain. Il existe presque autant de modèles de gouvernance que de pays sur le continent. D’ailleurs, le système politique et de gouvernance à Rabat n’est pas le même qu’à Porto-Novo.
Il n’existe pas de modèle de gouvernance africain. Il existe presque autant de modèles de gouvernance que de pays sur le continent. D’ailleurs, le système politique et de gouvernance à Rabat n’est pas le même qu’à Porto-Novo
Si nous partons du principe que la démocratie peut alors être envisagée comme un régime représentatif, pluraliste et compétitif ; le développement comme un ensemble de progrès économiques, sociaux et culturels, alors nous pourrons déduire que la démocratie est un facteur clé du développement. Cette dernière permettrait au peuple de disposer de la liberté de penser, d’innover et de créer.
Les pays africains figurent souvent aux dernières places dans le classement de l’indice de capital humain de la Banque mondiale pour mesurer l’investissement des États en matière d’éducation et de santé. L’Asie est en tête. Comment pouvons-nous inverser cette tendance ?
Un discours a quelque chose de particulier du fait qu’il peut avoir une résonance à un instant et une autre résonance à un autre. Il y a une vingtaine d’années, les pays asiatiques n’étaient pas aussi bien classés. Pour le continent africain, il urge donc de redéfinir les priorités de nos systèmes éducatifs, de les mettre en adéquation avec nos programmes socio-économiques et de penser sur du long terme. Le budget de l’éducation devra être à la hauteur de nos ambitions. La France, pourtant critiquée de nos jours, a dépensé depuis 2018 entre 6 et 7% de son PIB dans l’éducation soit environ 160 milliards d’euros. C’est environ 16 fois le PIB du Bénin et 40 fois notre budget national. Ceci montre l’effort colossal que nous devons faire dans nos pays quand vous ramenez ces chiffres à la population des différents pays.
Pour le continent africain, il urge donc de redéfinir les priorités de nos systèmes éducatifs, de les mettre en adéquation avec nos programmes socio-économiques et de penser sur du long terme
Constitutionnellement, qu’est-ce qui doit changer en Afrique pour que démocratie puisse rimer avec développement économique ?
Je comprends que la plupart du temps, une bonne majorité focalise le débat sur la question électorale quand on parle de démocratie. De mon point de vue, les élections ne représentent qu’un axe du jeu démocratique et elles ne peuvent être une réussite que si et seulement si les premiers axes de l’État de droit, de liberté de pensée et d’action, de justice sociale, d’équité sont respectés. Pour que ces premiers axes soient respectés, il faudrait au prime abord un « Contrat Social ». Il faut une espèce de livre blanc partagé par toutes les parties prenantes du pays. Cela, aux États-Unis et dans les grandes démocraties, s’appelle parfois la « Constitution »
De mon point de vue, les élections ne représentent qu’un axe du jeu démocratique et elles ne peuvent être une réussite que si et seulement si les premiers axes de l’État de droit, de liberté de pensée et d’action, de justice sociale, d’équité sont respectés
Comment transformer la démocratie électorale en une démocratie qui produit des résultats à tous les niveaux des populations. Quelle place pour les Africains de la diaspora dans ce combat ?
Il faudrait une « démocratie pragmatique » qui s’adapte à notre temps. Regardez les réseaux sociaux, cela nécessite un changement de paradigme. Nous ne pouvons pas gérer les libertés individuelles et collectives de nos jours comme nous le faisions il y a une trentaine d’années. En 1990 au Bénin lors de la conférence des forces vives de la nation, il n’y avait pas de réseaux sociaux, cela n’a pas empêché le génie béninois de se manifester.
Aujourd’hui, il faudrait autre chose, sous un autre modèle à imaginer, d’une démocratie plus participative. La démocratie, si elle est bien pensée et prend en compte les aspirations du peuple, devrait favoriser le développement, pour moi il n’y pas de débat sur cette question.
Nous ne pouvons pas gérer les libertés individuelles et collectives de nos jours comme nous le faisions il y a une trentaine d’années. En 1990 au Bénin lors de la conférence des forces vives de la nation, il n’y avait pas de réseaux sociaux, cela n’a pas empêché le génie béninois de se manifester
Le véritable débat se situe sur la question de la « bonne gouvernance ». La démocratie sans la bonne gouvernance est comme une jungle. Donc pour que la démocratie soit effective, il faut absolument une bonne gouvernance.
Vous êtes auteur d’un ouvrage « L’heure de l’Afrique », pourquoi l’heure de l’Afrique? Y a-t-il un moment plus propice pour le développement économique?
J’aime bien la notion de « quête », oui c’est une quête permanente, comme la vie elle-même. Albert camus disait ceci « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande.
Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ». Le développement économique mais aussi social s’est toujours basé sur une dynamique d’innovation et de progrès. Ceci a été de tout temps, l’œuvre de la jeunesse, de génération en génération, oui donc c’est une quête.
Quel est l’objectif de votre cercle de réflexion Club 2030 Afrique ?
L’objectif d’un think tank comme Club 2030 Afrique n’est pas juste d’influencer les pouvoirs publics, cela consisterait à restreindre son champ d’action, car les pouvoirs publics ne représentent qu’une des parties prenantes. Nous avons une mission plus grande, celle d’influencer la grande masse, de partager nos réflexions et nos recommandations avec la société civile, le secteur privé et aussi les décideurs politiques.
En occident et plus généralement dans les pays développés, les think thank sont une pratique courante mais les pays africains sont aussi en train de créer les institutions de réflexion et de prospective. Nous vivons dans un monde complexe et les pouvoirs publics ont besoin d’éclairage pour prendre de bonnes décisions.
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