Dans le cadre de l’initiative sur l’élection présidentielle au Bénin, WATHI est allé à la rencontre de Corentin Kohoué. Dans cet entretien, il évoque son parcours et son engagement politique et revient sur les mesures phares de son programme.
Présentation de votre parcours personnel
Je vais à l’élection présidentielle d’avril 2021 pour restaurer la confiance dans le pays. Jusqu’à deux semaines du dépôt des candidatures, j’étais membre du parti « Les démocrates ». Mais j’ai remarqué que ce parti ne voulait pas se battre pour obtenir le parrainage. Alors, j’ai décidé avec mon colistier de créer une nouvelle dynamique dans l’opposition. Nous étions à quelques jours de la fin du dépôt des candidatures. Avec la volonté, nous avons relevé le défi.
Cette capacité de se transcender, je l’ai appris au parti communiste du Bénin en 1967 avant de rejoindre les socio-démocrates. Je suis rouge et j’en suis fier. C’est une école où vous apprenez le sens de l’engagement et la stratégie politique qui doivent accompagner votre vision. La rupture qu’on observe aujourd’hui entre le peuple et ses dirigeants est liée à une carence de vision politique. Les personnalités politiques sont de plus en plus vides, elles n’ont plus une perception propre et intrinsèque des problèmes que traversent nos sociétés.
Qu’est ce qui fonde cette ambition de vouloir être président de la République ?
Je suis devenu un opposant au régime actuel pour des questions d’idéologie. Le gouvernement en place est un gouvernement capitaliste. Moi-même je suis socio-démocrate. Donc en 2021, j’ai pensé que je peux valoriser mes expériences en les mettant au service de l’Etat. C’est pourquoi j’ai postulé à la magistrature suprême.
Il ne suffit pas de critiquer ce que les autres font, il faut aussi se jeter à l’eau pour prouver ce dont on est capable pour son pays. Je ne suis pas là pour peindre en noir tout ce qui a été fait par l’actuel régime mais je dis qu’il y a un principe cardinal en démocratie, c’est de permettre à tout le monde de participer à la construction nationale.
Le président Talon a chassé tout le monde. En dehors de lui qui est compétent, plus personne n’est compétent dans ce pays. Mon ambition est de travailler à ce que tous ceux qui sont exilés puissent rentrer au pays et participer au développement de leur nation.
Mon ambition est aussi de faire en sorte que tous les jeunes qui ont été enfermés pour des délits d’opinion puissent recouvrer la liberté et donner leur avis sur notre vision des choses. Les jeunes sont le fer de lance du bénin. Ils sont appelés à nous remplacer demain. Donc je rêve de les entendre dire ce qu’ils pensent de mon action.
Quelles sont les mesures phares de votre programme dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’emploi des jeunes ?
Tony Blair lorsqu’il a été élu, on lui a demandé, quelle est votre priorité numéro 1, il a dit l’éducation. On lui demande sa deuxième priorité, il répond encore l’éducation. Sur la troisième priorité, il dit toujours l’éducation. Si des pays qui ont une grande avance sur nous se donnent comme priorité l’éducation, ce ne sera pas nous qui ferions le choix contraire.
Notre système éducatif forme des chômeurs. Il faut réformer la formation technique et professionnelle. La formation doit être conçue de façon à aider les jeunes à s’auto-employer ou à se mettre rapidement en valeur sur le marché du travail. Dans cette élection, l’éducation doit être la pièce maîtresse de tout projet de société.
Tout comme la santé d’ailleurs. Vous questionnez les médecins, ils vous décrivent une situation alarmante. Le plateau technique est très vétuste. Et tout ceci doit se financer sur des fonds propres. Vous voyez à la télévision des pays qui font des dons d’une valeur de 4 millions francs CFA au Bénin. Je trouve que le Bénin est au-dessus de ça. Nous devons travailler en comptant sur nos propres moyens humains, techniques et financiers. Le pays regorge à mon avis de toutes les compétences nécessaires pour y arriver.
La Santé
Nous proposons les points suivants :
- Mettre en place une couverture sanitaire universelle digne du nom ;
- Encourager les initiatives privées d’offre de soins de santé ;
- Encadrer la médecine traditionnelle
- Mettre en branle une action d’urgence Covid-19 qui prendra en compte plusieurs volets et notamment les volets sanitaire, économique, social et trans-sectoriel ;
- Veiller à la réalité de la gratuité des actes et des soins sanitaires, accordée par l’Etat au profit de certaines catégories de la population ;
- Construire de grands hôpitaux et les équiper avec des matériels sanitaires de dernière génération.
L’éducation
Nous proposons les points suivants :
- Rendre obligatoire et gratuit le cycle primaire ;
- Introduire l’Anglais et une langue nationale – suivant la région – dans les programmes d’enseignements préscolaire et primaire ;
- Mettre en place des programmes de sensibilisation et d’information au profit des parents d’écoliers pour améliorer les faibles taux enregistrés dans les sous-secteurs ;
- Doter les écoles en cantines scolaires et renforcer celles qui existent;
- Recruter et former du personnel enseignant qualifié et en quantité suffisante.
L’emploi des jeunes
Nous proposons les points suivants :
- Lutter contre le chômage et l’exclusion sociale ;
- Créer des incubateurs d’entreprises de jeunes des structures essentielles dans les secteurs agricole, industriel, numérique et de services qui auront pour missions de susciter, d’aider à s’installer et d’accompagner pour faciliter l’atteinte des objectifs ;
- Faciliter l’accès des jeunes entrepreneurs au financement par la création d’un fonds de garantie;
- Inciter fiscalement les entreprises et autres structures à embaucher les jeunes ;
- Revoir à la hausse le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG).
Quelle appréciation faites-vous des dernières réformes institutionnelles de 2018 notamment l’instauration du parrainage ?
C’était pour éviter que tout le monde participe aux élections. En France, aux Etats-Unis et autres, il y a le parrainage mais est-ce que les élections sont pour autant exclusives dans ces pays. Malgré ce système, le scrutin est bien inclusif. Chez nous, c’est une assemblée monocolore, des mairies monocolores qui ont servi à attribuer le parrainage. Au Bénin, le système est conçu pour empêcher des candidats de se présenter. La première chose que je ferai après mon élection sera de supprimer le parrainage. Les élections seront reprises pour une participation de tous sans exception. Nous allons dissoudre toutes les réformes politiques et favoriser l’éclosion d’un vrai dialogue.
Quelles seront les trois priorités de votre gouvernement dans le domaine de la gouvernance et des institutions ?
L’une des trois priorités est de redonner à la justice son indépendance. La justice béninoise est une justice à deux temps. Depuis la création du tribunal d’exception qu’est la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme, j’ai l’impression qu’il y a un acharnement politique. Pour que cela ne se reproduise plus, dès ma prise de fonction, les priorités seront définies de commun accord avec toutes les composantes de la société.
Ce n’est pas quelques-uns qui vont le dire. Ce sera à la société toute entière de décider de la nouvelle marche à suivre. Ce ne serait plus des élites qui vont faire la loi mais le peuple. C’est un objectif que je me suis fixé avec mon colistier. Tout ce qui se fera en matière de gouvernance et des institutions sera décidé par un dialogue inclusif. Il faut une reconstitution nationale qui tient compte des aspirations de tout le monde.
Quelle sera votre politique de décentralisation et de développement local ?
Il faut une vraie politique de décentralisation. Les maires sont au service du président. Toutes les institutions sont au service du président. Comment parvenir dans ces conditions à une décentralisation qui impacte les populations. Les communes doivent avoir leur mot à dire et faire un arbitrage sur ce qu’on leur propose. Sur le projet Grand Nokoué, vous pensez que les maires ont été suffisamment entendus sur leurs besoins. Est-ce qu’on leur a donné l’occasion de dire comment améliorer les choses.
C’est pourquoi je propose prioritairement, d’instituer un forum économique dans tous les départements, qui sera une plateforme de réflexion sur les questions économiques de chaque département et sur les stratégies adéquates à développer pour atteindre les objectifs de développement départemental. Le transfert de compétences aux communes ne sera plus un vœu pieux avec notre parti Restaurer la confiance.
Ce sera une nouvelle ère pour la décentralisation au Bénin. Il faut avoir un canevas type pour le développement des communes qui s’inscrit dans la durée. Les actions durables permettent d’obtenir des résultats tangibles. Chacun viendra dire au dialogue national, en quoi il est meilleur dans son domaine et peut contribuer au développement de sa localité.
Quel regard portez-vous sur le contexte sécuritaire en Afrique et plus spécifiquement dans la région Afrique de l’Ouest ? Quelles solutions préconisez-vous ?
Par rapport à cette question, je privilégierai les relations bilatérales. Il faut d’abord entre chefs d’Etats africains se parler individuellement à deux, poser les problèmes ensemble et essayer de trouver des solutions. Il ne sert à rien de se rendre directement à des sommets qui réunissent tout le monde alors que le mal a d’abord un ancrage local. Si vous procédez ainsi, vous ne frustrez personne. Les chefs d’Etat se parlent mieux à deux. Le Bénin va renouer le dialogue avec les chefs d’Etat de la sous-région.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, que proposez-vous ?
Pour moi, l’une des émanations du terrorisme est le manque de confiance entre les peuples et les gouvernants. Si les inégalités se creusent et les frustrations se multiplient, c’est parce que les gens ne croient plus aux promesses qu’on leur fait. Il faut changer cela. Entre nous, on doit se dire la vérité.
C’est parce que certains pays laissent leurs ressources minières à des étrangers que le terrorisme prospère. Il faut arrêter de faire des mécontents parmi nous-mêmes. Des pays viennent chercher des matières premières chez nous pour enrichir le nucléaire et pendant ce temps, les autochtones n’ont même pas d’électricité. Quand la justice sociale déserte le forum, les frustrés prennent les armes. Cela donne cette menace sécuritaire qui est aux portes des pays africains aujourd’hui.
Donc pour vous, il faut donner la même chance à tout le monde et la sécurité reviendra en Afrique?
Il faut plutôt se parler franchement. Poser les problèmes dans un cadre d’échanges franc et empreint de sincérité.
Quelle est votre position sur la naissance de la nouvelle monnaie Eco qui va remplacer le franc CFA dans les pays de la zone UEMOA ?
Il faut laisser les pays africains décider. Le contexte dans lequel cette monnaie a été proposée semble être un marché de dupes. Je ne cautionnerai pas cela une fois au pouvoir. Faisons confiance à notre jeunesse. C’est parce que les jeunes africains ont commencé à s’indigner avec un certain Kêmy Séba, que les personnes qui se sentaient menacées ont créé la monnaie ECO.
Nous avons le système ECOWAS. Pourquoi ne pas dialoguer dans ce sens et trouver une approche qui ne laisse pas penser à une intervention extérieure. Et puis mon avis est que chaque pays notamment le Bénin, avant de se prononcer sur une question aussi sensible doit prendre l’avis des élus et du peuple. C’est ce qu’on appelle une gouvernance inclusive. Mais le Bénin ne fait pas cela et semble cautionner la chose. La méthode sera revue, je vous le promets.
Quelle sera votre politique de promotion pour la participation des femmes dans les instances de décisions ?
Il n’y a pas de promotion spéciale pour les femmes. Chacun devra lutter pour mériter sa place au soleil. Je suis d’accord par ailleurs qu’il faut créer les conditions propices à la participation des femmes aux instances de prise de décision. Les barrières socioculturelles doivent être progressivement levées. Vous me voyez moi en tant qu’intellectuel interdire à ma femme de participer à un débat. Si je fais cela, c’est que je suis un faux démocrate.
Il faut laisser les femmes honnêtement et sincèrement avoir leurs propres expériences. Nous devons sensibiliser nos enfants dans ce sens désormais. L’autonomie de la femme suppose également de moyens. Avec Patrice Talon, la microfinance est parcellaire. Restaurer la Confiance va financer les projets et activités génératrices de revenus à travers un programme. Un programme spécial sera mis en place au profit des femmes et des jeunes.
Déjà dans votre équipe de campagne il y a combien de femmes ?
Il y en a beaucoup. Toutes les femmes qui sont volontaires, je les ai responsabilisées.
- Au plan politique
Nous proposons de :
- Convoquer dès 2022 une Conférence Nationale de Restauration (CNR) :
- Organiser une élection référendaire en 2022 ;
- Organiser les élections générales en 2023 ;
- Faire un mandat de transition ;
- Elaborer un Plan d’Urgence pour la Restauration de La Confiance (PU-RLC) d’une durée moins courte que le mandat de 5 ans constitutionnel, pour remettre le pays sur les rails.
Quel engagement prenez-vous pour un processus électoral apaisé ?
Les Béninois ne se parlent pas. Ils se méfient les uns des autres. La méfiance est devenue la règle et la confiance l’exception. J’appelle les uns et les autres à la paix, à croire en leurs capacités à changer les choses ensemble, dans une vision collective. Les élections vont passer mais le pays va demeurer. Le climat est difficile à vivre mais nous devons penser à la postérité.
Le processus qui est enclenché est enclenché. On ne peut plus faire à mon avis marche arrière. J’invite les Béninois à croire au pouvoir des urnes. L’alternance aujourd’hui n’est pas un mirage. C’est bien possible. Toute l’opposition n’a qu’à se mettre derrière nous pour qu’on prenne le pouvoir. Après on verra comment se mettre ensemble pour former un gouvernement.
Mais il ne sert à rien de brûler le pays. Le bon militant n’est pas celui qui se fait arrêter « bêtement ». Si nous tombons tous dans les mailles de la justice parce que nous manquons de stratégie, qui va assurer l’alternance ? Le gouvernement aussi doit baisser la tension en libérant Réckya Madougou. Ne posons pas des actes de violence et allons manifester notre mécontentement dans les urnes le 11 avril prochain.
Crédit photo : jeuneafrique.com
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