Réformes électorales et perspectives politiques au Bénin

Introduction 

Le think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest WATHI et la fondation Konrad Adenauer  ont organisé le 10 octobre 2024, une table ronde virtuelle portant sur le thème : «Réformes électorales et perspectives politiques au Bénin». 

À une année de la date de clôture de dépôt des dossiers de candidature à la fonction du président de la République du Bénin, le pays organise pour la première fois de son histoire les élections législatives, les  locales et la présidentielle la même année (2026).  L’enjeu est grand et les défis à relever sont importants pour le peuple et les acteurs politiques béninois. Connu comme un « joyau de paix » et de stabilité, le pays traverse depuis quelques années, des situations inédites entraînant des crises sans précédent. Ce fut notamment le cas lors des élections législatives  de 2019 qui ont été marquées par une violence accrue.  À l’aune de ces élections générales, le paysage socio-politique inquiète, le peuple et l’ensemble des acteurs se questionnent sur l’avenir incertain de la nation béninoise. 

Pour cause, la révision de la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019, modifiant la Constitution de 1990 et entraînant l’organisation des élections générales, fait l’objet de vives controverses. Bien que la Cour constitutionnelle l’ait validé et que le Président de la République, Patrice Talon, l’ait promulgué. Les enjeux de ces élections restent cruciaux, l’opposition appelle à une relecture du code électorale tandis que le pouvoir appelle à la cohésion et à la paix sociale.   

Ont pris part à cette table ronde virtuelle :

Dr. Malick Gomina, député à l’Assemblée nationale du Bénin

Dr. Kitti Hinnougnon Nathaniel, enseignant-chercheur en science politique à l’université d’Abomey-Calavi

Maryse Glèlè Ahanhanzo, coordinatrice nationale du WANEP-Benin

Dr Expédit Ologou, président du Civic Academy for Africa’s future (CIAAF)

Les principaux constats 

  • Le Bénin comptait plus de 200 partis politiques pour 77 communes. Aujourd’hui, ce nombre a été considérablement réduit à moins de 15 partis politiques, régulièrement enregistrés et conformes aux exigences des structures officielles. Les réformes visent à consolider la démocratie en limitant la concentration des pouvoirs et en favorisant une participation plus active des partis politiques, ce qui aura pour effet une gouvernance et une transparence accrue dans les affaires publiques. Ces réformes renforcent également l’éthique politique afin de réduire de manière significative la corruption qui s’était généralisée dans la pratique politique du pays. Par ailleurs, les délais de dépôt de candidature ont été modifiés : 60 jours avant le scrutin pour les candidats à la députation, 65 jours pour les conseillers municipaux et 280 jours pour les duos candidats à la présidentielle. L’introduction d’un système de parrainage par des députés ou des maires pour valider les candidatures, renforce le rôle des partis politiques tout en limitant l’accès aux candidatures indépendantes. La limitation des mandats présidentiels et législatifs est également instaurée afin de renouveler la classe politique et prévenir la pérennisation du pouvoir aux dirigeants. De plus, un quota de sièges est désormais réservé aux femmes au Parlement, garantissant une meilleure représentativité féminine. Enfin, la tenue d’élections générales permettra de « synchroniser » les scrutins et de rationaliser les coûts électoraux.
  • Au niveau de l’élection présidentielle au Bénin, les parrainages seront désormais effectués par les maires et les députés élus via leurs partis politiques. La loi électorale a été conçue pour encourager les acteurs politiques à travailler sérieusement et à développer un ancrage territorial et national. Ainsi, les « petits » partis, autrefois si nombreux que leurs congrès pouvaient se tenir dans des espaces aussi restreints que des « cabines téléphoniques », ne pourront plus fonctionner de cette manière. En conséquence, des centaines de « petits » partis se sont regroupés au sein d’anciennes grandes coalitions politiques, tant du côté de la mouvance présidentielle que de l’opposition. L’accès aux sièges ne se fera plus comme avant, et la représentativité nationale sera un critère essentiel dans toutes les circonscriptions électorales.
  • Il est important de rappeler que la Cour constitutionnelle avait, par le passé, dégagé certains principes fondamentaux qui ont servi de guide aux réformes électorales, comme le consensus national, le respect des délais électoraux et la transparence. Cependant, les réformes récentes ont été mises en place en violation de ces principes, selon la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. De plus, en 2018, dans le cadre des élections législatives de 2019, on a assisté à une réduction drastique du paysage politique, avec une réduction forcée du nombre de partis politiques et du nombre de participants aux élections. Le certificat de conformité, introduit par la Cour constitutionnelle à l’époque, a été utilisé pour éliminer plusieurs partis politiques, ce qui a eu pour effet de déconsolider la démocratie ; 
  • Depuis 2016, le cadre juridique des élections sous le régime de la rupture est d’avantage compatible au scénario du « wahala » que de « l’alafia », les deux scénarios qui prévaut au Bénin.  « L’alafia » renvoie au pacifisme et le « wahala » renvoie à un scénario conflictuel. Le cadre juridique des élections au Bénin, depuis au moins 2018, est plus compatible au scénario « wahala ». En 2019, les partis d’opposition n’ont pas pu participer aux élections. C’est dans ce contexte que le Bénin a connu les élections législatives les plus violentes de son histoire politique depuis 1990. L’année 2020 a été marquée par une façade de paix avec un parti d’opposition qui ne l’est pas en réalité. En 2021, il y a eu une exclusion de candidats aux élections présidentielles. Le président concourt avec des candidats plus ou moins aptes à le gagner, d’où l’impression d’une élection sans choix et la violence qui s’en est suivi. À l’aune des élections de 2026, il y a de la peur et de la crainte, notamment sur les dispositions légales, dont le code électoral  et les dispositions en rapport avec le parrainage. Le cadre légal des élections répond à une philosophie de pouvoir, une sorte de capture de la démocratie. La loi devient ici un moyen de récupération de tout ce qu’on n’a pas pu avoir par les voies légitimes. Ce cadre a été produit, élaboré, taillé et mis en œuvre à cause et à effet pour l’acteur majoritaire, le président de la République ; 
  • Pour certains, le parrainage est perçu comme un outil de rationalisation de l’espace partisan. En effet, par le passé, les gens quittaient les formations politiques par lesquelles ils avaient été à l’assemblée. Ces formations étaient formées à la va vite, car il fallait 9 députés pour former un groupe parlementaire, ces soubresauts créaient une instabilité à l’assemblée. Le parrainage permet de freiner la transhumance. En revanche, pour d’autres, au vu du contexte sociopolitique du pays, le parrainage est associé à une sorte de « trompe-l’œil ». Au Bénin, les lettres de noblesse ont été obtenues sans le parrainage. D’ailleurs, le Président Talon, lui-même n’a pas été élu président avec le système de parrainage. Le peuple béninois semble plus mûr que les réformes avancées. Depuis les élections des années 1990, les électeurs béninois ont toujours concentré les 90 % de leurs suffrages sur les 3, voire 4, premiers candidats à l’élection présidentielle, peu importe le nombre de candidats. Cela nous démontre que la pléthore des partis ou des candidats ne posent pas de problème, car l’essentiel est qu’il y ait un choix à la fin. En 2016, lorsqu’on additionne ce que monsieur Talon avait récolté comme voix, ainsi que les 4 autres qui le suivaient, nous sommes à plus de 90 % des suffrages exprimés.  Le parrainage devient une sorte de dol politique qui ne dit pas son nom. Il y a également un problème à travers les postulats de la loi sur le parrainage, il est mentionné qu’aucun parrain ne peut être d’un autre parti, et ne peut quitter son parti pour en parrainer un autre. Cependant, si cela doit être possible, il faut un accord de gouvernance. Seulement cet accord de gouvernance ne peut être possible qu’avec les partis de la majorité et non ceux de l’opposition ; 
  • Les conseils communaux étaient à la merci du dernier conseiller et c’était la course à la destitution. Parfois, après l’installation d’un conseil communal, on pouvait se retrouver dans une situation où l’on changeait le maire 3 voire 4 fois. Les nouvelles réformes apportent  une stabilité à ce niveau. Concernant les élections, en 2023, il y a eu une conformité. Le but de la décentralisation est de permettre l’apprentissage de la démocratie à la base, en menant les populations à la démocratie, en choisissant ceux qui vont les diriger et en participant à l’animation de la vie politique, économique et sociale et en définissant les projets et les programmes de développement. Dans ce cas, on ne doit pas imposer aux populations les autorités qui vont les diriger. Cela n’est pas différent dans le cas actuel de la concentration qui existait avant la décentralisation. Dans d’autres pays ayant ce système, le candidat au poste de maire est connu avant les élections, les populations votent selon le parti auquel appartient le maire. De ce fait, ils votent le parti du maire de leur choix. 
  • Depuis 2016, les réformes proposées semblent trop personnalisées, ce qui n’aide pas à instaurer un climat politique apaisé au Bénin. En conséquence, chaque élection depuis 2016 a été marquée par des tensions et des conflits. Pour 2026, il serait impératif de revoir le Code électoral. Dans sa forme actuelle, ce code risque de conduire à une crise majeure, notamment à cause des règles de seuil de représentation et de parrainage. Le développement du Bénin ne peut se faire sans stabilité politique, car toute instabilité remettrait en question les efforts de développement entrepris jusqu’à présent. Historiquement, chaque président béninois a cherché à développer le pays, en passant par une évolution de la situation politique, de manière à passer d’une période de tension à une période de sérénité. Récemment, une mission de la CEDEAO s’est rendue au Bénin et a rencontré les différents acteurs politiques, y compris les anciens présidents. L’opposition a remis un rapport détaillé à cette mission, exposant notamment la situation électorale actuelle et suggérant des réformes. Nous espérons que cette mission pourra transmettre ce rapport à la conférence des chefs d’État de la CEDEAO, qui pourra ensuite engager un dialogue avec le président Patrice Talon. L’objectif principal de l’opposition est la modification du Code électoral pour garantir des élections transparentes.

Recommandations 

  • Encourager la participation citoyenne, car il y a un faible taux de participation, notamment des jeunes. Il est essentiel de mener des campagnes de sensibilisation pour promouvoir l’importance du vote et de l’engagement citoyen, surtout dans les processus électoraux.
  • Renforcer le dialogue politique inclusif en organisant un débat public transparent et de haut niveau sur les réformes électorales, y compris sur les sujets sensibles comme le parrainage. Ce débat devrait impliquer les acteurs politiques, la société civile, les organisations religieuses et d’autres parties prenantes.
  • Évaluer les réformes existantes, notamment avant d’introduire de nouvelles mesures ou de changer les règles électorales, il est recommandé d’évaluer les réformes existantes, notamment l’exigence des 10 % de soutien national pour les partis, afin de mieux comprendre leur impact.
  • Impliquer la société civile dans les réformes à tous les niveaux, de la consultation à l’implication dans les processus législatifs relatifs aux lois électorales, pour assurer un cadre plus inclusif et éviter les tensions observées par le passé. 
  • Promouvoir la paix et le consensus politique. La stabilité du pays étant bénéfique à tous, y compris à ceux au pouvoir, un effort pour trouver un consensus est crucial. Le dialogue entre les différentes forces politiques et sociales est nécessaire pour maintenir la paix et éviter les conflits.
  • Mobiliser la société civile et les citoyens pour un dialogue pacifique, sans viser des partis en particulier, ceci peut aider à promouvoir une culture de dialogue et à réduire les tensions ; 
  • Renforcer la gouvernance démocratique interne des partis enencourageant la transparence et la démocratie interne dans les partis politiques pour éviter la monopolisation par quelques individus. Cela inclut de nouvelles réglementations pour favoriser une gouvernance éthique et participative. Pour y parvenir, il faut mettre en œuvre des réformes profondes pour assurer une gouvernance démocratique et participative au sein des partis politiques, en travaillant sur la qualité et l’éthique des dirigeants.
  • Améliorer le contrôle administratif et la régulation des partis enexigeant une révision des critères administratifs, comme la participation à plusieurs élections consécutives pour conserver le statut de parti politique. Ce contrôle vise à s’assurer que seuls les partis fonctionnels et actifs puissent continuer d’exister, évitant ainsi les « partis de façade ».
  • Citations des invités 

“Les réformes visent à consolider la démocratie en limitant la concentration des pouvoirs et en favorisant une participation plus active des partis politiques, ce qui aura pour effet une gouvernance et une transparence accrues dans les affaires publiques.” Dr. Malick Gomina, député à l’Assemblée nationale du Bénin.

“L’introduction d’un système de parrainage par des députés ou des maires pour valider les candidatures renforce le rôle des partis politiques tout en limitant l’accès aux candidatures indépendantes.” Dr. Malick Gomina, député à l’Assemblée nationale du Bénin.

“Au niveau de l’élection présidentielle au Bénin, les parrainages seront désormais effectués par les maires et les députés élus via leurs partis politiques” Dr. Malick Gomina, député à l’Assemblée nationale du Bénin.

“La Cour constitutionnelle avait, par le passé, dégagé certains principes fondamentaux qui ont servi de guide aux réformes électorales, comme le consensus national, le respect des délais électoraux et la transparence. Cependant, les réformes récentes ont été mises en place en violation de ces principes” Dr. Kitti Hinnougnon Nathaniel, Enseignant-chercheur en Science politique à l’université d’Abomey-Calavi

“Le certificat de conformité introduit par la Cour constitutionnelle à l’époque, a été utilisé pour éliminer plusieurs partis politiques, ce qui a eu pour effet de déconsolider la démocratie.” Dr. Kitti Hinnougnon Nathaniel, enseignant-chercheur en Science politique à l’université d’Abomey-Calavi

“Nous sommes actuellement en période préélectorale, marquée par des tensions au sein des grands partis. Ces tensions trouvent leur origine dans les réformes électorales.” Dr. Kitti Hinnougnon Nathaniel, enseignant-chercheur en Science politique à l’université d’Abomey-Calavi

“La logique des tenants des réformes électorales est de maintenir et de renforcer le système partisan.” Maryse Glèlè Ahanhanzo, coordinatrice nationale du WANEP-Benin “Le cadre juridique du Bénin s’inscrit dans une philosophie globale de pouvoir, reflétant une volonté de capturer la démocratie. Cela consiste à rassembler les pouvoirs entre les mains des acteurs politiques, ce qui limite la démocratie au lieu de la renforcer. L’objectif est de contenir et de manipuler ces acteurs, de sorte qu’aucun d’entre eux ne soit en position de résister ou de faire autre chose que ce que souhaite l’acteur dominant, qui est le président.” Dr Expédit Ologou, président du Civic Academy for Africa’s future (CIAAF)