Crédo Luc Gansou est titulaire d’un diplôme en Administration des finances. Directeur exécutif de l’ONG Pauly Afrique Bio qui milite pour la justice climatique et la protection de l’environnement en Afrique de l’Ouest, Crédo Gansou travaille actuellement avec l’UNICEF sur les projets liés aux jeunes et sur les questions de changements climatiques.
Il est l’initiateur du projet “Educlimate’’ qui s’occupe de l’éducation environnementale des enfants, des adolescents et des jeunes au Bénin. Il a représenté le Bénin au sommet mondial des jeunes pour le climat en Italie et à la Pré-Cop 26 en Septembre 2021. Il est étudiant de l’Université de vacances sur les défis politico-économique et sécuritaire en Afrique de l’Ouest organisée par la Konrad Adenauer Stiftung (Côte d’Ivoire) ; ce qui lui a permis d’obtenir une bourse d’étude en Master.
En 2019, il est retenu par le Bureau régional de l’UNESCO à ABUJA comme chef d’équipe du projet d’engagement civique des jeunes au Bénin. Son militantisme a commencé à l’Assemblée nationale du Bénin en 2017 après sa réussite au concours du Parlement des Jeunes du Bénin. Il accède ainsi à la plus haute instance décisionnelle des jeunes au Bénin, où il s’est d’ailleurs fait élire par ses pairs, premier questeur du Parlement des Jeunes du Bénin.
Pourquoi observe-t-on toujours cette invasion des sachets plastiques malgré la réglementation en la matière ?
La réponse à cette question est très simple. Il est évident que la loi ne suffit pas pour interdire l’usage des sachets plastiques dans notre pays. La réelle question à se poser, c’est ce que nous avons fait pour rendre applicables les textes en vigueur. Et à ce niveau, on pourra répondre que nous n’avons rien proposé comme alternative aux utilisateurs de ces sachets ; c’est un peu comme si on disait aux populations, ne faites pas vos besoins dans la rue et nous ne leur mettons pas à disposition des toilettes.
Nous n’avons pas pris des dispositions pour empêcher la fabrication ou l’exportation des sachets plastiques. Ce sont là les réalités qui justifient cette utilisation à outrance des sachets plastiques au Bénin, malgré les lois.
Quelle est la part de responsabilité des citoyens dans l’échec de cette réforme malgré les sensibilisations et menaces de sanctions ?
On prévoit toujours des sanctions, mais ce qu’on devrait plutôt faire, c’est d’attaquer le mal à la racine. Au-delà de la sensibilisation, il faut éduquer. Dans mon cursus, je n’ai vraiment pas eu de modules qui parlent d’éducation civique aux enjeux environnementaux, des gestes « écocitoyens ». L’année passée, j’ai fait un exercice simple en demandant aux jeunes ce que c’est que les changements climatiques. Aucun résultat.
Ils ne sont pas en mesure de répondre convenablement à cette question. Même à l’Université, il n’y a rien qui évoque l’importance de l’interdiction des sachets plastiques. Quand vous votez des lois et qu’il y a des explications autour, les gens peuvent prendre la mesure de la situation. Si vous citez les dangers du sachet plastique à un individu, demain, il n’achètera plus dans un sachet non biodégradable. Quand vous prenez le temps d’expliquer aux gens l’importance de ce qu’ils prennent comme décision, ça a plus de poids.
Vous travaillez depuis 2017 sur l’engagement civique des jeunes en Afrique. Au regard des réalités, le comportement écocitoyen est-il en recul ou vous notez une prise de conscience ?
Me basant sur ce que j’ai vu en Afrique de l’Ouest, le comportement « écocitoyen » n’est pas une réalité dans plusieurs contrées. En effet, l’écologie requiert la connaissance d’une base préalable qui n’est même pas encore enseignée aux enfants à l’école. C’est un problème au regard des enjeux de développement durable actuels. On peut aisément constater que sur dix jeunes, deux ne sont pas en mesure de vous citer cinq gestes écologiques. Même les parents n’y arrivent pas.
Les jeunes ont non seulement du mal à s’identifier à leurs ainés, mais ils vivent également un stress quotidien au regard du système flottant dans lequel ils naviguent, des risques liés à leur environnement et de leur méconnaissance de la gestion des pesanteurs
Pour une prise conscience, il faut d’abord de l’éducation et des informations sur le sujet. Si vous faites un tour dans des villes comme Lagos, vous comprendrez l’enjeu de la question. Seule la ville d’Accra arrive à faire une petite exception à la règle, mais il reste tellement à faire là-bas aussi.
En réalité, les gens ne savent pas pourquoi il faut économiser l’eau, l’énergie ou même ne pas jeter les ordures dans la rue. Ils urinent partout, même chez nous ici au Bénin.
Quel état des lieux faites-vous de la question de la citoyenneté dans nos différents États en Afrique de l’Ouest, au vu de vos expériences sur le terrain ?
La question de la citoyenneté est abordée de différentes manières d’un pays à un autre. Elle fait référence au patriotisme, à la bonne gouvernance, aux devoirs des individus qui se réclament du droit d’appartenir à une cité etc. Si nous résumons cela à comment les gouvernants s’assurent d’avoir dans 05, 10 ou 20 ans, des jeunes capables d’assumer pleinement des fonctions pour une meilleure gouvernance locale, nous ferons un état des lieux pas trop reluisant au regard des modèles qu’eux-mêmes ne sont visiblement pas, puis ensuite de l’environnement qui semble très challengeant pour les jeunes et les pousse à plusieurs vices.
Cette analyse pourrait prendre des jours et vous pouvez d’ailleurs très bientôt retrouver mon point de vue sur la question dans mon livre sur les défis liés à l’engagement civique des jeunes en Afrique de l’Ouest. Les jeunes ont non seulement du mal à s’identifier à leurs ainés, mais ils vivent également un stress quotidien au regard du système flottant dans lequel ils naviguent, des risques liés à leur environnement et de leur méconnaissance de la gestion des pesanteurs. Ce sont des facteurs qui font que l’exercice de la citoyenneté est presque un mirage en Afrique de l’Ouest.
Toujours sur les défis liés à l’engagement civique des jeunes en Afrique de l’Ouest, parlez-nous un peu plus de votre projet livresque ?
Il s’agit de mettre en lumière les différents problèmes que vivent les jeunes en Afrique par rapport à leur citoyenneté, au patriotisme. J’ai fait le tour de l’Afrique de l’Ouest et j’ai recensé des réalités par rapport au bénévolat, au volontariat.
L’environnement n’est souvent pas favorable à l’acquisition de compétences, à l’affirmation de sa personnalité, à l’apprentissage pour devenir demain un bon dirigeant au niveau déjà de sa localité, à ce que les jeunes demandent des comptes à ceux qui les gouvernent, bref à la redevabilité qui est aujourd’hui un grand défi. En Afrique, le jeune s’identifie à qui ? Qui est le modèle ? C’est une question qu’il faut régler.
Selon vous, le partage d’expériences occupe quelle place dans la responsabilisation des jeunes ?
Je dis souvent que toute expérience n’est pas bonne à partager, mais je suis d’accord qu’on puisse tisser la nouvelle corde au bout de l’ancienne. Pour l’aboutissement du processus de maturation des jeunes que nous sommes, c’est important que nous apprenions de nos aînés. Quand moi précisément, je me retrouve dans un scénario où je dois entretenir les jeunes, je me dis qu’il faut se remettre en cause d’abord, je ne suis pas exempt d’erreur.
L’objectif, ce n’est pas d’émerveiller les gens. Quand vous partagez vos expériences, l’auditoire voit souvent le bon côté des choses, les interlocuteurs n’engagent pas un débat sur les insuffisances et ce qu’on peut améliorer dans votre parcours pour arriver à un bien meilleur résultat. Pour moi, le partage d’expériences est à prendre avec des pincettes, mais il joue un rôle très important dans les décisions futures de la jeunesse.
Comment retrouver dans la confiance la complémentarité entre les générations ?
Les aînés doivent continuer à être le garant du patrimoine historique. Le développement, c’est d’abord de savoir d’où est-ce qu’on est parti avant de nourrir des ambitions avant-gardistes. Parfois, les politiques publiques ont besoin d’histoire, de genèse et de grand débat. Je donne l’exemple de la question de l’institution d’une vice-présidence au Bénin avec les dernières réformes politiques où on a eu un remue-ménage autour de l’opportunité et l’utilité de ce poste. Ce n’est pas inédit. Qu’il nous souvienne d’ailleurs que dans notre même pays le Bénin, la Constitution de 1964 instituait une vice-présidence dont les attributions n’étaient pas clairement définies.
Qu’avez-vous préconisé alors pour amener les jeunes à ne pas attendre l’information mais à plutôt la rechercher ?
Que les jeunes sachent que personne ne va leur donner de l’emploi gratuitement ou une porte de sortie facilement. Les jeunes doivent savoir qu’il faut se faire former. Aujourd’hui, vous passez dans tous les pays, c’est l’anglais. Les jeunes font quoi pour être compétitifs sur le marché international. Je leur propose ensuite d’oser et d’innover.
Les autres ont créé beaucoup de choses. Le défi maintenant, pour nous, c’est d’améliorer ces inventions en fonction de notre contexte et cadre de vie. Actuellement, je réfléchis à un projet où, ensemble avec les jeunes, nous allons ramasser et recycler les pneus usagés qui pullulent dans nos rues à des fins de protection de l’environnement et de confection de meubles.
Et au sujet de la crise de la démocratie, les conflits et les changements climatiques ?
Ce sont aussi des défis à relever. Dans la mesure où nous vivons, nous devons y faire face. Si je dois juste placer quelques mots, je dirai que la démocratie mérite d’être revue avec une adaptation aux réalités africaines. Avec l’insécurité, les attaques djihadistes et la raréfaction des ressources, il faut une refonte des systèmes de gouvernance. Quant aux changements climatiques, je suis partisan de la prise de sanctions lourdes contre les pays développés.
Vous pensez ainsi à quels types de sanctions et pour quelle efficacité ?
Les usines qui produisent plus sur la planète viennent chercher leurs matières premières où selon vous, alors que le continent africain ne compte que pour 3 % dans les émissions totales de gaz à effet de serre. La première solution, c’est de dire aux pays producteurs : si vous ne respectez pas vos engagements, on ne vous vend plus des produits à transformer.
Si les pays riches n’ont pas de matières premières pour faire tourner leurs usines, ils ne peuvent pas polluer. Et là, vous verrez qu’ils vont se ressaisir.
Une récente consultation que j’ai dirigée moi-même a révélé que des parents sont obligés d’attacher les pieds de leurs enfants lorsqu’ils dorment, pour éviter que l’eau des inondations ne les emporte
Quand vous prenez le rapport de l’Unicef d’Août 2021 qui présente l’indice des risques climatiques pour les enfants dans le monde, les Africains sont les plus touchés. Les premiers pays les plus impactés dans le classement sont tous en Afrique. Les nations industrialisées se retrouvent en bas du classement avec des impacts quasi nuls sur plus de 160 pays.
Je serai probablement encore en Égypte cette année pour la COP 27 et j’imagine que ce sera la même ritournelle comme à la COP 26 qui, pour moi, a été un triste échec pour le monde. Les pays développés sont venus simplement réaffirmer des promesses qu’ils n’ont jamais tenues.
Sur plus de 100 milliards de dollars prévus annuellement pour aider les pays pauvres à contenir les effets des changements climatiques, rien n’a été décaissé jusqu’ici. Comment peut-on expliquer ce manque de volonté ? Vous prenez un pays comme les États-Unis, qui refuse carrément de déposer ses contributions déterminées au niveau national, un document qu’on appelle CDN et qui permet d’évaluer les engagements de réduction des émissions et les efforts d’adaptation.
Vous avez participé également en 2021 à la conférence sur « Jeunesse et crise démocratique en Afrique de l’Ouest ». Quelle est la responsabilité des jeunes dans le déclin démocratique ?
Tout le monde a reconnu à cette conférence que la démocratie est en crise parfaite dans les pays d’Afrique de l’Ouest au regard des tensions et coups d’État devenus très fréquents dans la sous-région. Les jeunes doivent se faire entendre pour faire comprendre qu’ils sont les plus vulnérables dans cette affaire qui hypothèque en réalité leur avenir. Ils doivent accepter de se faire former pour être des agents et des vecteurs de changement. Mais ils doivent par-dessus tout être des acteurs de paix au sein de leurs différentes communautés.
Vous citiez le rapport de l’Unicef sur la vulnérabilité des enfants et des jeunes aux changements climatiques. Quels en sont les effets constatés au Bénin sur les enfants et comment les impliquer davantage dans les solutions durables ?
Les effets sont divers au Bénin. Il y a notamment les inondations à plusieurs endroits dans la vallée de l’Ouémé, qui créent des difficultés d’accès aux maisons et écoles. Une récente consultation que j’ai dirigée moi-même a révélé que des parents sont obligés d’attacher les pieds de leurs enfants lorsqu’ils dorment, pour éviter que l’eau des inondations ne les emporte.
Les variations des saisons sont très courantes mettant à mal l’agriculture et par ricochet la sécurité alimentaire. Les inondations ont notamment favorisé la multiplication exponentielle des moustiques ces dernières années, entrainant de nombreux cas de paludisme. La sècheresse est une réalité dans le nord, entrainant des pertes de bétail causées par le manque d’eau dans plusieurs contrées. L’action des jeunes est importante dans la lutte contre les changements climatiques, notamment à travers le plaidoyer, l’innovation, les emplois verts et l’agriculture, et surtout l’éducation des plus jeunes aux enjeux environnementaux.
Parlez-nous un peu de la bourse de la fondation Konrad Adenauer dont vous avez bénéficié. Quel a été l’impact de cette expérience sur votre intégration socioprofessionnelle ?
La Fondation Konrad Adenauer m’a offert la meilleure opportunité de me rassurer que je fusse sur la bonne voie, parlant de mon engagement social. A travers cette bourse d’étude et toutes ses opportunités, je suis à même d’être compétitif sur le marché de l’emploi, de gérer des projets d’envergure et de montrer mes capacités et mon potentiel au monde entier. Cela a facilité mon intégration sociale et m’a permis de me faire un nom que je m’attèle à maintenir dans la sous-région.
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