Malentendu bénino-nigérien : sources et ressources pour sortir de la crise, Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF), Position Paper, Mai 2024

Malentendu bénino-nigérien : sources et ressources pour sortir de la crise, Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF), Position Paper, Mai 2024

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Auteur : Expédit Ologou

Organisation affiliée :  Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF)

Type de publication : Position paper

Date de publication : 21 Mai 2024

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Introduction 

Deux grenouilles qui se prennent pour des taureaux ! Le spectacle est tragi-comique que présentent le Bénin et le Niger dans ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler une guerre de nains qui se croient géants. L’épisode de l’interdiction par le Bénin du chargement du pétrole nigérien via le pipeline Niamey-Cotonou1 a ravivé les relations déjà très tendues entre les deux pays2. Ouvert depuis les sanctions de la CEDEAO contre le coup d’Etat du 26 juillet 2023 du général Abdourahmane Tchiani au Niger, ce ridicule bras de fer bonifie le présupposé de la malédiction éternelle qui poursuivrait la « négraille ». Deux Etats africains parmi les plus pauvres de la planète qui, malgré la propagande de leurs régimes respectifs, leurs supposées divergences à propos de la démocratie, affichent un point de convergence : l’instauration du règne de la faim et de la terreur et la paupérisation de leurs populations. Le ridicule, c’est donc que aussi bien le coup d’Etat de Tchiani que la démocratie à la Talon offrent de moins en moins de pain aux Nigériens et aux Béninois mais compromettent de plus en plus la paix dans et entre les deux Etats. Le ridicule, du moins la part du tragique qui y a cours, c’est l’ombre manipulatrice – peut-être maléfique – des tiers puissants : la Chine, la Russie, la France, etc. Ce tableau tient à des erreurs et fautes commises de part et d’autre, qu’il faut gommer au mieux et aussi vite que possible. Le Bénin devra en tirer de bonnes leçons pour des réajustements nécessaires.

 

Les erreurs et fautes

Si, de part et d’autre, on fait abstraction de la passion qui s’empare des deux régimes, de leurs courtisans, partisans et sympathisants, on s’apercevra que la crise actuelle doit beaucoup au péché d’orgueil de Talon et de Tchiani. Mais aussi à leur méprise de quelques principes des relations internationales.

Du côté béninois

Le Bénin de Patrice Talon est apparu finalement comme le dindon de la farce sous-régionale, abandonné seul devant des questions complexes à résoudre. Quels ressorts historiques, économiques, (géo)politiques voire (géo)stratégiques, quel intérêt national autorisent le Bénin à entrer dans une dialectique belligérante avec un Etat voisin alors même que celui-ci n’a produit contre lui aucun acte d’hostilité guerrière ? Qu’est devenue la doctrine béninoise de voisinage apaisé avec les Etats limitrophes édictée par la Constitution béninoise dès son préambule ? 

Au geste d’apaisement ou de retour à la réalité de Patrice Talon marqué par l’ouverture des frontières béninoises dès la levée des sanctions de la CEDEAO en février 2024, le Général Tchiani maintient les frontières nigériennes fermées donnant l’impression que le Niger est le seul acteur qui dicte le tempo des relations entre les deux pays. Et Patrice Talon semble agacé que la réouverture des frontières du côté nigérien prenne autant de temps. Ici réside justement la deuxième erreur/faute du président béninois. 

L’attitude agitée du Bénin dans l’épisode des sanctions de la CEDEAO laisse encore des séquelles dans l’espace psychique des putschistes de Niamey. Les militaires, en plus putschistes, ont la rancune dure, la patience de la réplique et le talent de l’usure. Et plus encore, comme les Sahéliens en général, la culture de la souffrance et de la résilience dans l’adversité et l’inimitié… Patrice Talon devrait s’y faire et fonctionner même avec l’hypothèse que le régime de Tchiani peut se nourrir du bras de fer, souffrir du statu quo pour encore deux ans et ne revenir à de vrais meilleurs sentiments qu’au départ du président béninois du pouvoir en 2026.

Du côté nigérien

Les autorités nigériennes ne sont pas militaires pour oublier que la vie internationale, comme celle des hommes, est structurée par le rapport de forces ; qu’en l’espèce, le pipeline Niamey-Cotonou et le port de Cotonou sont pour le Bénin un facteur favorable clé dans la structuration des relations entre les deux Etats. Les autorités nigériennes sont mieux placées que quiconque, parce que putschistes, pour savoir que la politique – interne comme internationale – est subordonnée non pas au droit mais au bon vouloir de celui qui dispose de l’avantage de la force dans une configuration particulière. Ainsi qu’elles se croyaient en position de force pour continuer par maintenir les frontières nigériennes fermées, les autorités nigériennes devraient pouvoir comprendre que le Bénin en acteur rationnel appuie ou pourrait encore appuyer partout où ça fait et ferait mal au Niger, fut-ce au mépris d’accords dûment signés.

Les fautes communes 

La première faute commune des deux régimes est une faute originelle, consubstantielle à la crise nigérienne. C’est une faute qui tient à un manque de prise avec la réalité et une inconnaissance des relations internationales. Les autorités béninoises et nigériennes ont agi le long de cette crise en oubliant que plus personne dans les relations internationales n’est assez fort de ses forces ni de ses atouts pour agir ; que nous sommes dans un monde caractérisé par une interdépendance cruelle. Le président Talon l’avait-il bien perçu qu’il n’aurait pas enfourché le haut verbe belliqueux dans la foulée des sanctions de la CEDEAO. Le Général l’avait-il cerné qu’il aurait été moins catégorique dans certaines de ses décisions envers le Bénin. La deuxième faute du Bénin et du Niger, c’est que deux pays parmi les plus pauvres de la planète se croient si puissants qu’ils veulent vendanger dans une crise absurde le peu de ressources dont la gestion ne leur permet même pas encore d’assurer la sécurité alimentaire de leurs populations respectives. Or, les deux dirigeants se croyant forts à tort, oublient la règle quasi-immuable de l’histoire des relations internationales qu’un nain étatique ne fait pas structurellement acte de puissance, tout au plus peut-il faire acte d’influence.

La sortie de la crise 

Plusieurs voies sont possibles pour sortir de cette crise. La voie chinoise n’est qu’une solution épisodique. Elle permet d’une part aux deux camps de s’asseoir autour d’une table de négociations. Elle aurait le mérite d’être pragmatique puisque la partie chinoise a intérêt que tout au moins la question sur le pétrole nigérien se résolve. D’autre part, l’option chinoise ouvrirait la voie à des négociations ultérieures sur d’autres questions de fond liées à des perceptions et des préjugés géostratégiques. C’est l’ensemble de ces questions qui font blocage qu’une médiation, de préférence africaine, recenserait et aiderait à traiter pour une sortie de crise durable entre les deux Etats. Dans cette perspective, des personnalités africaines réputées, dont certains anciens chefs d’Etat, peuvent être mises à contribution. Cette médiation pourrait recourir dans les deux pays aux services des détenteurs légitimes d’influence. Ce sont généralement des hommes d’Etat, des personnalités politiques qui, pour certaines, n’ont jamais été chefs d’Etat mais dont le sens de l’Etat, le sens des choses de la vie, la connaissance de la sous-région et le rayonnement international peuvent être précieux. Nombre d’entre eux ne demandent qu’à être sollicités avec respect et dignité pour se rendre utiles. Nombre d’entre eux se sont rangés en raison de la passion de l’illimité en extase chez les leaders des deux régimes. A côté de ces hommes d’Etat, se trouvent des acteurs influents de la société civile, de la sphère religieuse et du champ politique qui ont une certaine écoute dans les deux capitales.