L’offre informelle de la sécurité publique au Bénin : l’instrumentalisation des groupes d’autodéfense par l’État , Issifou Abou Moumouni, CAIRN, 2017

L’offre informelle de la sécurité publique au Bénin : l’instrumentalisation des groupes d’autodéfense par l’État , Issifou Abou Moumouni, CAIRN, 2017

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Auteur: Issifou Abou Moumouni

Organisation affiliée : Cairn

Type de publication : Article

Date de publication : 2017

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Le contexte d’émergence des Dambanga au Bénin

Si le Bénin a connu entre 1999 et 2001 un « phénomène Dévi » dans les départements du Mono-Couffo, c’est maintenant la région septentrionale qui abrite les groupes d’autodéfense depuis plus d’une dizaine d’années.

Ils sont présents dans les zones frontalières avec le Nigéria, notamment dans les communes de Tchaourou, Pèrèrè, Nikki et Kalalé. Ce sont des communes qui s’affichent comme faisant partie du berceau de cette forme de mobilisation communautaire pour la lutte contre l’insécurité au Nord-Bénin. Elles représentent une aire géographique composée majoritairement de quatre groupes ethniques proches et qui entretiennent des relations historiques complexes du point de vue politique et culturel. Il s’agit des gando, des baatombu, des fulbe et des boko qui, non seulement, partagent le même espace géographique, mais vivent aussi, dans une sorte de dépendance mutuelle .

Le phénomène Dambanga a commencé à Koda dans la commune de Tchaourou. Leur première opération remonte à 1997 et apparaît comme une réaction communautaire contre les braquages (Fourchard, 2008, 33) dans un contexte de capacité limitée des forces de sécurité publique à protéger efficacement les personnes et les biens (Olaniyi, 2009, 304).

En effet, suite à une série de quatre braquages perpétrés sur la route donnant accès à ce village, les chasseurs localement connu sous le nom de Ode ou Dambanga ont été interpellés pour rejouer leur rôle historique de protecteur de la population, dans un contexte où la brigade de gendarmerie s’est avérée inefficace pour retrouver les présumés braqueurs. Leur activité est socialement perçue comme la résurrection d’une fonction sociale anciennement dévolue aux chasseurs pendant la période précoloniale.

Au départ, les Dambanga apparaissaient comme une organisation locale et circonstancielle non structurée, avec à sa tête le « baba ode » (le chef des chasseurs traditionnels) chargé de diriger le rituel de protection requis précédant toute recherche des braqueurs. Le succès d’une telle initiative a inspiré les autres villages qui eux aussi subissaient les actions des braqueurs. Cette initiative locale a connu une expansion rapide dans les autres communes, soit par nécessité en raison de la prévalence des cas de braquage et de vols répétés, soit par mimétisme, ou encore sur proposition des responsables des villages l’ayant expérimentée dans une perspective de généralisation du mouvement.

Le phénomène Dambanga a commencé à Koda dans la commune de Tchaourou. Leur première opération remonte à 1997 et apparaît comme une réaction communautaire contre les braquages (Fourchard, 2008, 33) dans un contexte de capacité limitée des forces de sécurité publique à protéger efficacement les personnes et les biens (Olaniyi, 2009, 304)

Les Dambanga existent dans presque toutes les communes des départements du Borgou/Alibori, Atacora/Donga et Collines et leur effectif tourne autour de 8000 personnes pour ne prendre en compte que ceux qui sont dépositaires d’une carte de membre. Selon le président de la Fédération des associations des chasseurs des département du Borgou, Collines et Donga, cette organisation serait d’origine nigériane.

« Les Dambanga ont commencé au Nigéria. (…) Ayant eu connaissance des bienfaits de cette organisation au Nigéria, nous avions décidé de la mettre en place ici pour défendre aussi les nôtres, comme nos ancêtres avaient fait pour défendre le monde. Nous avons initié cette organisation pour lutter contre ceux qui veulent empêcher nos sœurs, nos parents, nos frères d’aller chercher ce qu’ils vont manger » (M.Y. Kika, 30 août 2013).

Ce témoignage partagé par les Dambanga interviewés, en même temps qu’il relate les motifs officiels de sa création au Bénin, attribue la paternité de cette organisation au Nigéria. Par ailleurs, l’analyse de la sémiologie populaire autour des Dambanga, l’antériorité de ce phénomène au Nigéria et l’observation des relations développées et entretenues entre ces acteurs et leurs homologues du Nigéria donnent foi à cette hypothèse.

À côté de l’expression « tasso bibu » (descendants de chasseurs) utilisée en milieu baatonum pour les désigner, ces acteurs sont largement connus au Nord-Bénin sous les vocables de « Ode » et de « Dambanga ».

En marge du sentiment croissant d’insécurité des populations, l’émergence des Dambanga a été favorisée par un contexte politique propice. La décentralisation a permis la libération de certaines initiatives locales avec une plus grande marge de manœuvre pour les Maires qui, en vertu de la loi n° 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin, ont pris des arrêtés communaux encourageant l’action des mobilisations communautaires pour la lutte contre l’insécurité grandissante sur leur territoire.

À cela, il faut ajouter l’adoption de « l’approche orientée vers la communauté » (Jones et Newburn, 2006) qui prône la coproduction de la sécurité publique avec des acteurs civils pour prévenir les actes criminels. Pour concrétiser une telle approche, le gouvernement béninois perçoit les élus locaux, les Dambanga et les sociétés de gardiennage, comme des acteurs privilégiés de la société ayant le devoir et un pouvoir particulier d’exercice de collaboration avec les agents officiels chargés de la sécurité. Cette vision crée ainsi à première vue des espaces d’action ouverts aux formes d’organisation communautaire tels que les Dambanga.

La position alambiquée de l’État face aux Dambanga

Les relations avec l’État central

Au sommet de l’État, c’est surtout au niveau du ministère de l’Intérieur, de la Sécurité Publique et des Cultes (MISPC) qu’ont pris forme les décisions concernant les Dambanga. Ce ministère a initié des réformes impliquant les Dambanga dans la lutte contre l’insécurité au Bénin. Le premier acte de reconnaissance reste l’enregistrement de la Fédération des associations des chasseurs  qui consacre leur droit à la liberté d’association et qui les intègre parmi les organisations de la société civile.

Ensuite, le ministère a introduit en 2013 une réforme instituant la mise en place des Comités Locaux de Sécurité (CLS) présentés comme un cadre de concertation, d’échange et d’analyse des questions d’ordre sécuritaire entre les différents acteurs concernés. Cette réforme prône la coproduction des services de sécurité entre les forces de l’ordre et les citoyens. En prélude à cette orientation stratégique, un forum national sur la contribution des acteurs civils à la sécurité publique a été organisé le 20 décembre 2011. Ce forum intègre les confréries des Dambanga parmi les acteurs civils capables de contribuer au renforcement de la sécurité.

Le guide d’installation et de fonctionnement des Comités Locaux de Sécurité précise que le CLS. est un organe de veille sécuritaire et non une unité opérationnelle habilitée à mener une opération sur le terrain. En conséquence, les membres du comité ne peuvent et ne doivent en aucun cas procéder à des arrestations ni à des actes de contrôle de sécurité (MISPC, 2013, 10).

Même si, théoriquement, le rôle des Dambanga comme celui des autres acteurs impliqués dans la coproduction de la sécurité se limite à alerter les forces de sécurité publique, dans la pratique, nombre d’actes posés par le ministère donnent l’impression de les encourager à mener des opérations sur le terrain.

En effet, suite aux nombreux cas de braquages enregistrés sur les axes routiers, le ministre de l’Intérieur a initié, à Kokoro, le 17 août 2007, une rencontre avec les chefs Dambanga. A cette occasion, le ministre a exprimé trois recommandations, à savoir (1) que tous les Dambanga soient unis autour de l’idée de combattre corps et âme l’insécurité sur les routes et villages ; (2) qu’ils favorisent le rayonnement d’un climat de confiance entre eux et les forces de l’ordre (gendarmes et policiers) ; (3) enfin, qu’ils soient les fournisseurs privilégiés de renseignements utiles aux agents de sécurité pour permettre à ces derniers d’agir efficacement.

Par la même occasion, il a été décidé de constituer des postes de garde où les Dambangadevront être présents jour et nuit en vue de la prévention des braquages. Malgré la reconnaissance de leur utilité, la création et les actions des Dambanga ne bénéficient d’aucun cadre juridique. Le ministère de l’Intérieur atteste même de l’impossibilité de décréter leur création par l’État (MISPC, 2012).

Une reconnaissance camouflée malgré leur illégalité

La reconnaissance officielle par l’État intermédiaire se traduit par sa volonté de restructuration et de contrôle des Dambanga mais aussi par leurs sollicitations dans la lutte contre l’insécurité. Au départ, l’association constituait une entité indépendante du découpage territoriale administratif.

C’est en 2007 que le ministre de l’Intérieur a suggéré une restructuration de l’association à travers l’installation des bureaux communaux. En application a cette recommandation, le directeur départemental chargé des relations avec les Institutions (DDCRI) a exigé que soit respecté le découpage territorial pour éviter les conflits de compétence entre DDCRI des départements concernés et faciliter un meilleur suivi de ces associations. C’est pourquoi on parle de la Fédération des associations des chasseurs du Borgou, Collines, Donga.

À cet effet, le bureau département des Dambanga a été installé en présence des autorités départementales, parmi lesquelles le DDCRI, le commissaire central, le représentant du commandant du groupement Nord, le commandant de compagnie. À ces représentants de l’État, se sont ajoutées certaines autorités traditionnelles.

Une salle de réunion a été mise à la disposition des Dambanga dans les locaux de la DDCRI pour abriter régulièrement les séances du bureau départemental et national et d’autres rencontres de grande envergure. Par ailleurs, les différentes autorités préfectorales qui se sont succédées ont toujours collaboré avec les Dambanga en leur confiant (ou en les associant à) des missions spécifiques qui normalement relèvent de la compétence des forces de sécurité publique (comme la lutte contre la sortie frauduleuse du coton vers le Nigéria). Le poste de veille de Sébou, un village situé à environ 12 kilomètres de Parakou, est le fruit d’une initiative du préfet et du commandant de compagnie de la brigade de gendarmerie et a été installé en leur présence.

« Le préfet (…) m’a invité dans son bureau pour me demander de les aider assainir la voie de Djougou qui connait aussi des cas de braquage répétés. Je suis donc allé au bureau du préfet qui m’a instruit de contacter mes gens. À ce moment on ne se connaissait pas. C’est ainsi qu’avec les chasseurs de Sébou, nous sommes allés avec le véhicule de la compagnie au lieu habituel de braquage pour mettre en place le barrage en présence du préfet et du commandant de compagnie » (M.Y. Kika, 16 juillet 2014).

L’association a également bénéficié du soutien financier du préfet qui l’a gratifiée d’une enveloppe financière de 400000 FCFA à l’occasion de l’organisation de l’Assemblée Générale qui a aussi été honorée par la participation de tous les maires du Borgou. Malgré cela, les Dambanga constituent une institution illégale du point de vue des autorités judiciaires. Le fait qu’ils bénéficient d’une couverture politique et d’une tolérance affichée ne les légitime pas. Au cours de notre entretien avec le procureur de la République, il s’exprimait en ces termes :

« Je dirai qu’il n’y a aucun lien entre les Dambanga et la justice. Le seul lien qu’on peut établir entre ces Dambanga et la justice selon la loi est que toute personne qui a connaissance d’une infraction doit en informer le procureur de la République, de participer en cas de flagrant délit à l’arrestation des personnes mises en cause. (…) En dehors de ça il n’y a aucun lien. Nous essayons d’ailleurs de combattre le fait. La loi n’a prévu aucune disposition particulière qui fait des Dambanga, des OPJ (officiers de Police Judiciaire) ou des affiliés aux OPJ, ou au parquet ou à la justice. C’est même une violation de la loi que ces gens-là soient organisés comme ils sont » (P.R. Djougou, 6 novembre 2013)

Cette déclaration et le ton utilisé traduisent la nature réelle des relations et la position du département juridique vis-à-vis des Dambanga. L’enregistrement de la Fédération des associations de chasseurs au ministère de l’Intérieur qui est considéré comme base légale aux yeux des Dambanga est plutôt perçu du point de vue juridique comme un acte administratif qui « n’a rien à avoir avec la légalité ».

Les cas d’arrestations enregistrés parmi les rangs des Dambanga suite aux maladresses commises dans l’exercice de leur fonction révèlent en partie la nature illégale de leur activité. Jusqu’en juillet 2014, plus de trente-cinq Dambanga ont été mis sous mandat de dépôt par le parquet de Parakou pour exécution sommaire de présumés braqueurs et pour coups et blessures volontaires. Même si les Dambanga sont soutenus par la population et certains responsables administratifs, il n’en demeure pas moins qu’ils exercent leur action dans l’illégalité d’un point de vue formel.