WATHI est allé à la rencontre de Oswald Padonou, président de l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité. Dans cet entretien, il évoque le rôle des forces de défense et de sécurité en période électorale.
Quel est le cadre légal de la surveillance policière ou de l’armée en période électorale au Bénin ?
Le contexte électoral n’apporte pas plus de responsabilités à la police et aux forces armées. Les responsabilités sont les mêmes. Les institutions en charge de la sécurité doivent avoir une capacité d’anticipation dans le respect des principes légaux à savoir l’esprit républicain, l’impartialité et la neutralité dans la rivalité politique. Les personnels des Forces de défense et de sécurité ne sont pas autorisés à afficher en public et au nom de l’institution, leurs préférences politiques.
D’un point de vue technique, le maintien de l’ordre a toujours été de la responsabilité de la police. L’armée a des missions complémentaires sur les préoccupations relevant de la défense nationale. Ce qui peut changer en période électorale, c’est qu’à partir du moment où le risque est accru, où il y a des velléités de contestation, de tensions, le niveau de mobilisation, de vigilance de la police et de l’armée change. C’est une mobilisation exceptionnelle qui est désormais requise et une disponibilité totale de tous les agents.
Les institutions en charge de la sécurité doivent avoir une capacité d’anticipation dans le respect des principes légaux à savoir l’esprit républicain, l’impartialité et la neutralité dans la rivalité politique
La mobilité des forces est également renforcée en de pareilles circonstances. L’occupation spatiale est améliorée. La réactivité est de mise pour faire face rapidement aux violences. Donc, nous avons les fonctions classiques de la police mais cette fois-ci avec davantage de professionnalisme, d’impartialité et de neutralité en rapport avec un climat politique assez sensible. Cet état de veille prend en compte aussi bien la période pré-électorale, la campagne, le vote lui-même et bien évidemment l’après-scrutin.
Quelle appréciation faites-vous de la collaboration entre les Forces de défense et de sécurité en période électorale ?
L’armée et la police ont toujours collaboré en période électorale. Les besoins d’effectifs par exemple ne peuvent pas être couverts uniquement par la police. L’enjeu souvent est de faire en sorte que tous les bureaux de vote sur le territoire national reçoivent au moins un agent. Il y a derrière, tout le déploiement que nécessite un scrutin.
Par le passé, les candidats n’ont pas apprécié l’implication de l’armée dans le transport du matériel électoral. Cette fois-ci, on attend de voir si un autre dispositif sera mis en place pour rassurer les acteurs sur la transparence du scrutin
Il faut pouvoir convoyer dans la sécurité le matériel de vote vers les régions et faire en sorte de le disposer dans des endroits sûrs. Il n’est donc pas réaliste en termes de logistique et de personnel que la police assure seule ce rôle. Ce sont donc des forces mixtes qui agissent.
Par le passé, les candidats n’ont pas apprécié l’implication de l’armée dans le transport du matériel électoral. Cette fois-ci, on attend de voir si un autre dispositif sera mis en place pour rassurer les acteurs sur la transparence du scrutin.
En définitive, je dirai que l’armée et la police ont une mission conjointe de sécurisation des lieux de vote, des personnes et institutions ayant en charge l’organisation de l’élection y compris des différents candidats à l’élection présidentielle.
D’habitude les enjeux sécuritaires sont absents du débat électoral. Pourquoi cela ?
Vous faites un bon constat. Les politiques de défense et de sécurité sont souvent totalement absentes du débat électoral, des programmes des candidats.
C’est une question d’offre et de demande. Les partis politiques ou les candidats ne s’attardent pas sur cet aspect parce qu’ils estiment que les populations ne se déterminent pas par rapport à ces questions-là. Or, la première attente que nous avons vis-à-vis des pouvoirs publics, veut qu’ils puissent assurer notre sécurité sous toutes les facettes.
On considère qu’il ne faut pas en débattre sur la place publique. Il ne faut pas dévoiler les intentions de réformes ou d’amélioration du dispositif sécuritaire au risque d’alerter l’ennemi
Que cette première attente, ce premier besoin, ce pacte qui lie le citoyen à l’Etat censé le protéger, ne soit pas débattu pendant les périodes électorales est surprenant. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. Il y a un mystère qui entoure les questions de sécurité. Les politiques de défense et de sécurité sont souvent totalement absentes du débat électoral, des programmes des candidats.
On considère qu’il ne faut pas en débattre sur la place publique. Il ne faut pas dévoiler les intentions de réformes ou d’amélioration du dispositif sécuritaire au risque d’alerter l’ennemi. A l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité, nous considérons qu’il faut avancer sur cette question.
Après les leaders religieux, la dernière enquête Afro Baromètre au Bénin place les forces de défense et de sécurité au second rang des entités auxquelles les béninois font confiance
Bien évidemment que certains enjeux de la sécurité publique ne sont pas à mettre sur la place publique mais le débat doit pouvoir se faire autour du reste.
Partout dans le monde, les populations sont de plus en plus préoccupées par leur sécurité. Après les leaders religieux, la dernière enquête Afro Baromètre au Bénin place les forces de défense et de sécurité au second rang des entités auxquelles les béninois font confiance.
Bien évidemment que certains enjeux de la sécurité publique ne sont pas à mettre sur la place publique mais le débat doit pouvoir se faire autour du reste.
Les candidats ont le devoir de mettre en avant leurs propositions dans le secteur pour permettre aux citoyens de choisir en toute connaissance de cause. La vocation de notre association est justement d’apporter quelques éléments dans le débat, de faire des propositions intéressant à la fois les candidats et les populations surtout lors de la campagne électorale qui sera déterminante pour notre avenir commun.
L’Association Béninoise d’études stratégiques et de sécurité a fait des propositions aux différents candidats pour la structuration de leurs actions sur le prochain quinquennat. Que peut-on retenir de ce manifeste ?
Le manifeste de l’ABESS est une série de propositions expliquées et argumentées. 21 propositions pour être plus précis. Ces propositions seront débattues au cours de la campagne électorale avec les acteurs politiques. Nous sommes partis de l’évaluation de ce qui a été fait au cours du quinquennat précédent en termes de transformation de notre outil de défense, d’amélioration du service public de la sécurité.
On retient globalement qu’il n’y a pas eu de statu quo mais il ne faut pas s’arrêter là. Il faut aller beaucoup plus loin pour adapter notre outil de défense et de sécurité aux enjeux actuels. Et face aux risques et menaces, l’enjeu principal, c’est l’anticipation. Et anticiper, c’est prévoir, c’est avoir aussi cette capacité prospective d’évaluer les évolutions possibles et prévisibles des menaces en vue d’ajuster les politiques publiques. Nous avons intégré cette approche dans l’élaboration du manifeste.
Le manifeste de l’ABESS est une série de propositions expliquées et argumentées. 21 propositions pour être plus précis. Ces propositions seront débattues au cours de la campagne électorale avec les acteurs politiques
Pendant la campagne électorale, nous serons présents pour l’insérer dans le débat public et même au-delà. Nous espérons en effet que le candidat élu pourra prendre un certain nombre d’engagements sur la base des propositions que nous avons formulées dans le manifeste. Des engagements dont le suivi sera fait après l’élection.
Les dernières réformes constitutionnelles ont-elles permis d’avancer sur les questions de défense et de sécurité au Bénin ?
Je pense que les dernières réformes ont permis quelques avancées. Sur le plan institutionnel, nous avons la création du conseil national de défense et de sécurité. C’est une évolution majeure. Il fallait absolument cette instance de coordination, cette instance collégiale de décision qui permet de faire avancer notre politique de défense.
Toujours au plan institutionnel, il y a la création du conseil national de renseignements qui a été faite avec un coordonnateur national de renseignements. Au plan légal, ces institutions existent désormais au Bénin. Ce qui reste à faire, c’est de les activer.
Les institutions de défense et de sécurité prévues par la réforme constitutionnelle ne sont pas encore fonctionnelles. Leur opérationnalisation est l’une des recommandations que nous faisons aux candidats.
Il y a une autre approche intéressante qui a tété intégrée. C’est l’adaptation du recrutement à l’acquisition de matériel. Les forces de défense et de sécurité béninoises sont énormément sous-équipées. Et il ne sert à rien de recruter si le matériel de travail n’existe pas. La situation est appelée à évoluer si l’on s’en tient aux propositions faites par l’ABESS.
Nous pouvons graduellement, pendant le prochain quinquennat, améliorer les choses. Aujourd’hui, la technologie est devenue un axe central dans la mise en œuvre des politiques de défense et de sécurité. Le besoin pendant cette présidentielle est de considérer l’armée comme un vecteur d’innovation qui présente une plus-value pour le développement du Bénin.
C’est une option à mettre sur la table pendant cette élection pour renforcer les capacités de notre armée à l’intérieur et dans la sous-région. Le besoin pendant cette présidentielle est de considérer l’armée comme un vecteur d’innovation qui présente une plus-value pour le développement du Bénin.
En quoi l’environnement sécuritaire régional peut-il peser sur une élection ?
L’environnement régional est préoccupant. Il y a un double enjeu pour nos Forces de défense et de sécurité. Elles sont appelées à être attentives aux débordements à l’intérieur et en même temps rester vigilantes sur toute situation non électorale violente. Pour poursuivre le renforcement de la protection des personnes et des biens sur la période 2021-2026, le candidat Patrice Talon propose six mesures dans son projet de société :
- Une centaine de commissariats d’arrondissements seront construits et équipés
- Les recrutements d’agents seront poursuivis, leur formation sera renforcée de même que leurs équipements
- L’armée aura un plus grand rôle dans la promotion de la sécurité intérieure et de la protection côtière
- Des mini casernes seront déployées sur tout le territoire national pour renforcer la protection contre le terrorisme
- L’Agence nationale de protection civile sera dotée de plus de moyens d’intervention en vue de mieux répondre aux catastrophes (inondations, incendies, etc.) et de les prévenir.
Quelle appréciation faites-vous de ces propositions du candidat ?
Ce qui attire immédiatement mon attention, c’est la question des mini-casernes sur l’ensemble du territoire. Je pense qu’il faut faire très attention à cette démarche. Dans tous les pays de la région, les pays sahéliens surtout, l’approche des unités isolées a montré sa vulnérabilité. Autant les unités doivent être proches de la population, autant les casernes des forces de défense doivent avoir une certaine robustesse, une certaine capacité en termes d’effectif et de réaction.
Je pense qu’il faut poursuivre l’amélioration de l’implantation des casernes ou carrément, en construire d’autres comme c’est le cas actuellement où une caserne est en construction dans la commune d’Allada
Proposer qu’on ait des mini-casernes partout n’est pas la solution face aux menaces. Il ne faut pas privilégier la proximité mais la mobilité et la réactivité. Pourquoi ne pas équiper par exemple les casernes qui existent d’hélicoptères et de drones ? Je pense qu’il faut poursuivre l’amélioration de l’implantation des casernes ou carrément, en construire d’autres comme c’est le cas actuellement où une caserne est en construction dans la commune d’Allada. Je ne rejette pas la proposition de construire des mini-casernes mais la logique d’implantation doit être revue.
Il y a par ailleurs, la question de notre espace maritime qu’il faudra bien circonscrire. Notre temps de réaction dans ce domaine est trop long et favorise la répétition des actes de piraterie en mer. Proposer qu’on ait des mini-casernes partout n’est pas la solution face aux menaces. Il ne faut pas privilégier la proximité mais la mobilité et la réactivité. Pourquoi ne pas équiper par exemple les casernes qui existent d’hélicoptère et de drones ?
Il urge d’acquérir de nouveaux matériels dans ce sens tout en améliorant la formation. Globalement, c’est déjà positif que le sujet soit simplement énoncé dans le projet de société. Le candidat sortant prend à cœur les préoccupations du secteur de la défense et de sécurité. Les propositions qui seront faites au cours du débat électoral permettront d’affiner les choses. Le candidat sortant prend à cœur les préoccupations du secteur de la défense et de sécurité.
En matière de défense et de sécurité, quelles sont les thématiques non prises en compte selon vous par le projet de société du duo Patrice Talon-Mariam Talata ?
Un programme, ce sont des choix, des priorités. Choisir quelque part, c’est exclure. Déjà, je reviens sur la forme en disant qu’on pouvait distinguer la sécurité intérieure de la défense de façon à mieux positionner nos forces armées sur les opérations de maintien de la paix par exemple. On a besoin d’avoir une vue claire des réformes qui peuvent être entreprises dans ce secteur.
Au niveau de la police par exemple, la question de la vidéo-protection ne nous intéresse-t-elle pas ? Très souvent, les investigations n’aboutissent pas chez la police faute de moyens technologiques. Comment élucider le déroulé d’une action criminelle ? Dans les prochaines années, la vidéo-surveillance en ville va-t-elle entrer dans nos habitudes ? Autant de préoccupations qui ne sont pas prises en compte. Mais comme je l’ai dit, choisir, c’est exclure.
Il ne faut pas occulter la formation. On a au Bénin, les centres de formation les moins dotés de la région. Même si les Forces de défense et de sécurité font l’effort de répondre convenablement quand elles sont sollicitées, le renforcement des capacités est une urgence
Ce n’est pas un manquement pour le candidat de faire des choix. Mais il est de notre devoir seulement de rappeler que certaines urgences existent comme l’amélioration des conditions de vie et de travail du personnel militaire et policier. Il ne faut pas occulter la formation. On a au Bénin, les centres de formation les moins dotés de la région. Même si les Forces de défense et de sécurité font l’effort de répondre convenablement quand elles sont sollicitées, le renforcement des capacités est une urgence. Le programme ne développe pas suffisamment la question.
Pas mal d’efforts restent à faire. Ce que nous faisons, c’est par le débat électoral, aider les candidats à comprendre les attentes des propositions, s’imprégner de l’accueil réservé par le public à leurs mesures pour pouvoir opérer des ajustements. Une fois élu, les candidats pourront mettre en œuvre un programme qui soit à la fois la synthèse de leurs propositions et des amendements, des contre-propositions qui ont émergé pendant la campagne électorale.
Quelle implication des Forces de défense et de sécurité pour un processus électoral apaisé ?
Pour un scrutin apaisé, les Forces de défense et de sécurité doivent avoir le sens de la mesure au regard du contexte politique particulier. Il y a généralement des suspicions parfois de partialité qui pèsent sur les hommes en uniforme que ce soit au Bénin ou ailleurs donc il faudra faire très attention. C’est vrai, il peut paraître illusoire d’arriver à faire la part des choses entre l’exercice des responsabilités de l’armée et la garantie de la continuité de l’Etat. Mais les responsables de l’armée doivent prendre de la hauteur. Il s’agira de protéger tout le monde y compris ceux qui ne partagent pas les points de vue du régime en place.
Pour un scrutin apaisé, les forces de défense et de sécurité doivent avoir le sens de la mesure au regard du contexte politique particulier. Cela consiste à protéger tous les candidats pendant la campagne électorale, encadrer leurs manifestations afin d’éviter d’éventuelles confrontations violentes. Ce qui est décrié souvent, c’est un usage excessif de la force. L’armée et la police doivent donc développer un esprit républicain, faire preuve de discernement et rester neutres pendant cette période. En garantissant la sécurité de l’Etat, les libertés publiques ne doivent pas être mises de côté.
Pour un scrutin apaisé, les forces de défense et de sécurité doivent avoir le sens de la mesure au regard du contexte politique particulier
Il s’agira de protéger tout le monde y compris ceux qui ne partagent pas les points de vue du régime en place. Le rôle de l’appareil sécuritaire est en effet déterminant dans l’appréciation positive que feront les populations de l’action des institutions de sécurité au cours du processus électoral.
Ces institutions de défense et de sécurité maintiendront ainsi la bonne image, l’image de marque qu’elles ont pu construire dans l’esprit des Béninois depuis la Conférence des forces vives de la Nation de février 1990 où l’armée est retournée dans les casernes pour devenir désormais un acteur neutre au service uniquement de la protection des personnes et des biens.
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