Adabra Adjowa Jacqueline est membre du Réseau des soignants amis des patients du Bénin. Elle est sage-femme et doctorante en Sociologie de développement à l’Université d’Abomey-Calavi. Elle est par ailleurs titulaire d’un Master 2 en Santé communautaire.
Vous avez conduit à Agblangandan, un arrondissement de la commune de Sèmè-Podji dans le département de l’Ouémé, une étude intitulée : « Satisfaction des usagers des services de soins de santé maternelle à Agblangandan au Bénin : facteurs et perception ». Pourquoi le choix de cette localité Agblangandan ?
J’ai fait des constats qui décriaient le personnel de santé de ce milieu. Je venais d’achever ma formation en santé communautaire. Du coup, je me suis intéressée à cet environnement pour identifier les facteurs et décrire les perceptions de la satisfaction des usagers de la maternité de cette localité. Il en est ressorti qu’il n’existe pas un système formel et fiable de recueil voire de mesure de la satisfaction des usagers des centres de santé de l’arrondissement d’Agblangandan.
Dans l’arrondissement d’Agblangandan, le taux de fréquentation des centres de santé était en 2014 de 18,9 % contre une moyenne de 30,3 % au plan national. La médecine traditionnelle couvre toujours plus de la moitié de la demande de la population, suivie d’un recours élevé à l’automédication.
Selon les statistiques et projections démographiques, Agblangandan comptait 46 802 habitants en 2015, 54 964 habitants en 2020 et en 2025, on estime à 64 392 le nombre d’habitants, soit la deuxième localité la plus peuplée de la commune.
Comment le système de santé arrive-t-il à s’adapter à cette poussée démographique notamment en matière d’accès aux soins de santé modernes ?
L’accroissement de la population dans les arrondissements agit indubitablement sur la demande en soins et services de santé. Normalement, c’est la loi de l’offre et de la demande qui devrait être le socle de cette relation.
Avec l’essor de l’entrepreneuriat pour endiguer le chômage, il y a eu pléthore de cliniques, de cabinets privés inégalement répartis et de différents standings. A ma connaissance, nous avons environ quatre (04) médecins et huit (08) sages-femmes dans les centres privés. L’accessibilité géographique aux centres publics est asymétrique.
Dans l’arrondissement d’Agblangandan, le taux de fréquentation des centres de santé était en 2014 de 18,9 % contre une moyenne de 30,3 % au plan national. La médecine traditionnelle couvre toujours plus de la moitié de la demande de la population, suivie d’un recours élevé à l’automédication
Au niveau national, au lieu de 07 médecins pour 10 000 habitants nous en avons 1,6 médecins et côté soins infirmiers, 3,2 infirmières/sages-femmes pour 5000 habitants en 2016, selon le plan national de développement 2018-2025. Quelle est la situation en matière de personnel de santé à Agblangandan ?
Au niveau de l’arrondissement d’Agblangandan, il y a 02 centres publics. Actuellement, au centre de santé d’Agblangandan, il y a 04 infirmiers, 04 sages-femmes, 05 aides-soignantes, 00 médecin et au centre de santé de Sèkandji qui est un village de l’arrondissement d’Agblangadan, il y a 02 sages-femmes, 04 infirmiers, 01 aide-soignant, 00 médecin soit au total, 06 (six) sages-femmes, 08 (huit) infirmiers et 06 (six) aides-soignants pour tout l’arrondissement dont la population s’élève à 57762 habitants (RGPH4-2013). On peut en déduire que les habitants d’Agblangandan souffrent d’un accès rare ou lointain aux agents de santé ou à un centre de soins.
Quels sont les facteurs qui expliquent ce manque de personnel de santé ?
En 2016 par exemple, le nombre de consultations prénatales requis par l’OMS avant l’accouchement est de 08 visites contre 04 auparavant. Mais faut-il imputer la diminution du taux de visites prénatales des femmes enceintes à l’insuffisance du personnel médical dans nos centres de santé ? Ce que j’observe, c’est qu’il y a beaucoup de départs à la retraite dans le rang du personnel qualifié. Les remplacements ne sont pas systématiques.
Du coup, les centres de santé construits sur toute l’étendue du territoire national ont un manque criant de personnel. Jusqu’à un passé récent, il n’y a plus eu de recrutements par le ministère de la Santé. Aussi, la santé communautaire n’a pas connu son démarrage effectif du fait que les communes ne se sont pas encore approprié cette politique afin de combler le gap du personnel pour desservir la population.
Toutefois, il y a une lueur d’espoir avec le recrutement de 1600 agents de santé au profit du ministère de la Santé le mois dernier. Je pense qu’avec le déploiement des personnes recrutées, un soulagement serait observé.
Selon vous, comment la santé communautaire peut-elle permettre aux populations de se prendre en charge ?
Toute décision dans le cadre de la santé publique est prise par le niveau central et cela s’impose à la base. Par contre, en santé communautaire, c’est le mouvement inverse, c’est-à-dire de la base vers le sommet, qui s’observe; depuis l’identification et la priorisation des besoins des communautés jusqu’à l’évaluation finale de l’intervention. Grâce à la santé communautaire, les bénéficiaires ont une vision éclairée de leur état de santé et participent activement à toutes les étapes du processus de résolution du problème identifié.
Les besoins doivent être identifiés par la population à la base avec l’aide des cadres de santé communautaire. Et ensemble, la résolution de ces problèmes et la mise en œuvre des interventions sont convenues. C’est une approche participative et multisectorielle. Les communautés se sentent responsables de leur santé et se mobilisent pour. Ceci permet une implication réelle de la population conduisant à une autonomisation en matière de santé.
Les types de soins concernés sont les soins préventifs et les soins promotionnels à travers les visites à domicile, les sensibilisations et autres. Ailleurs, il y a les soins post hospitalisation à savoir le pansement, l’injection, le changement de sonde urinaire et le suivi des malades chroniques, notamment le test rapide de la glycémie et le soutien psychologique qui sont inclus parmi ces catégories.
Si la politique de santé communautaire est bien menée, le bien-être des populations au niveau local en sera forcément impacté. La politique de la santé communautaire se veut toujours pragmatique en se basant sur le vécu local des bénéficiaires contrairement à la politique de santé publique.
Qu’est-ce que la décentralisation et la gouvernance à la base peuvent apporter à la structuration et à l’efficacité d’un corps de « soignants communautaires » au niveau des régions reculées abritant majoritairement des populations en situation d’extrême pauvreté ?
Je ne connais pas encore une seule région au Bénin qui ait réussi la mise en place d’un système de santé communautaire intégré. Dans les instances de prise de décisions, il faudrait inviter les experts et spécialistes du domaine pour penser des politiques publiques qui intègrent les méthodes appropriées.
Les autorités locales doivent s’approprier le concept et l’implication de la santé communautaire. Elles peuvent mettre en œuvre ses différents processus. Cette appropriation leur permettra de planifier le diagnostic communautaire dans leur plan de développement communal et le décliner dans le plan de travail annuel afin d’identifier les problèmes de santé prioritaires de leurs populations et y remédier.
Malgré l’adoption en Conseil des ministres, de la politique nationale de la santé communautaire 2020-2024 pour offrir un ancrage institutionnel à cette discipline, un flou demeure à propos des prérogatives des agents. Ils sont souvent confondus aux relais communautaires.
Sinon, en réalité, il n’y a pas encore d’agents de santé communautaire. Il existe plutôt des cadres de santé communautaire dont la majorité n’est pas exploitée. Les agents de santé communautaire seront recrutés par les communautés locales selon les directives de mise en œuvre de la politique nationale de la santé communautaire.
L’enjeu est de recenser les cadres de santé communautaire et leur attribuer des territoires pour la mise en œuvre effective de cette approche.
La santé communautaire est décrite souvent comme une politique au service de la baisse de la mortalité maternelle, néonatale et infantile. En tant que sage-femme de formation, comment la santé communautaire appréhende-t-elle les soins de femmes enceintes ?
Autrefois, il y avait des accoucheuses traditionnelles qui sont autorisées. Mais aujourd’hui, il y a une polémique autour de leur employabilité compte tenu des normes et standards nationaux et de l’OMS qui recommandent la pratique de l’accouchement par un personnel qualifié, en particulier le corps des sages-femmes. Le partage des expériences sur le terrain reste primordial.
Le volet communautaire des compétences de la sage-femme n’est pas suffisamment pris en compte dans le plan d’action des zones sanitaires sous prétexte d’une surcharge de travail ou de personnel insuffisant. Si ce volet est plus valorisé, il permettra de détecter les causes profondes des décès maternels, néonatals et infantiles dans les communautés à temps et d’y apporter des solutions adéquates et acceptables, culturellement et socialement.
Quelle est l’action des soignants communautaires pendant la pandémie de la Covid-19 ?
Véritablement, l’action des soignants communautaires durant cette pandémie à été quasi inexistante. Dans la lutte contre la COVID-19, il y a juste eu une implication des chefs quartiers instruits pour dénoncer les cas suspects. Mais avant de se pencher sur le rôle des agents communautaires pendant la COVID-19, il faut déjà s’interroger sur la place des agents de santé publique. Dans la commune qui jouxte Agblangandan à savoir Cotonou, nous avons mené une autre étude en 2020 intitulée : « Résilience du système d’accès aux soins des gestantes à Cotonou en période de pandémie de Covid-19 ».
Le volet communautaire des compétences de la sage-femme n’est pas suffisamment pris en compte dans le plan d’action des zones sanitaires sous prétexte d’une surcharge de travail ou de personnel insuffisant
Cette recherche a été menée pour apprécier, voire déterminer les manifestations de la résilience du système d’accès aux soins des gestantes en ce temps de pandémie de COVID-19 à Cotonou. Au fait, la pandémie de COVID-19 avait créé la panique et la phobie au sein de la population et chez les soignants.
La recherche s’est concentrée sur l’aspect de l’acceptation des femmes enceintes au sein de leurs lieux de consultations prénatales régulières et l’atmosphère du déroulement des consultations. Il y a eu des difficultés de respect de la confidentialité et de la distance réelle exigée dans les mesures barrières.
Chaque catégorie de soignants doit avoir son cahier des charges et les limites à ne pas dépasser. Dans ces cahiers des charges, doivent être mentionnés, les termes de collaboration entre les différents acteurs, surtout en temps de crise où l’action a besoin d’être la plus précise possible et où il est important que le préventif prenne le pas sur le curatif.
Crédit photo : benin.unfpa.org
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