Landry Ahomadikpohou est le Secrétaire général de la mairie de Sèmè-Podji. Il coordonne les activités dans le cadre de la transformation numérique visant à faire de la commune une ville « intelligente ».
Comment se présente l’écosystème numérique dans la commune de Sèmè-Podji ?
Une transformation numérique nécessite une bonne ccompréhension des réalités du territoire. L’archipel regorge d’atouts qui peuvent faire de lui un pôle d’excellence de l’aire métropolitaine. Sur le littoral et dans le département de l’Ouémé, on considère Sèmè-Podji comme un pôle propice à l’usage industriel et à l’habitat.
Si hier, nous étions encore à l’état embryonnaire dans ce domaine, le changement est possible aujourd’hui. Sèmè-Podji fait partie désormais d’un réseau de douze autorités locales africaines qui souhaitent utiliser la transformation numérique comme catalyseur pour devenir des villes plus inclusives et plus durables.
Il s’agit d’un appel à candidature lancé par l’Agence Française de Développement à l’issue duquel Sèmè-Podji a été retenue comme 11 autres villes le 05 février 2019. Nous pouvons citer entre autres Ben Guerir (Maroc), Kumassi (Ghana), Lagos (Nigéria), Alger (Algérie) ou encore Bizerte (Tunisie)…
C’est déjà un challenge, une plus-value pour la commune d’être parvenue à ce niveau de la compétition. Nos défauts ne nous ont pas empêchés de rêver grand. Vous voyez clairement que toutes les autres villes peuvent être classées au rang de villes principales dans leurs pays respectifs. On est tenté de considérer Sèmè-Podji comme un pousse-pied qui navigue dans la cour des grands. C’est forcément parce que Sèmè-Podji a des valeurs et quelque chose à vendre, qu’elle a retenu l’attention aux côtés des autres grandes villes d’Afrique et du Bénin considérées comme bien loties.
Quels sont les leviers que Sèmè-Podji peut actionner pour relever le défi de la transformation numérique ?
Notre premier atout est que nous disposons d’un plan de transformation numérique. On peut faire la révolution à condition qu’elle accouche d’idées neuves et de forces vives. Il était question de voir ce que le numérique pourrait apporter à l’écosystème urbain dans un domaine précis. Il s’agit donc de la révolution d’une ville, d’une structure, d’un service par le numérique.
Nous espérons ainsi expérimenter une approche inclusive progressive de la transformation numérique. L’équipe communale a décidé de focaliser prioritairement son attention sur le système foncier. La ville a défendu donc comme thématique, la numérisation du foncier dans la commune de Sèmè-Podji. En termes d’atouts, nous avons dans la commune des débits moyens. C’est déjà mieux par rapport à d’autres localités qui n’ont pas cette chance.
Ces débits moyens démontrent la nécessité pour les opérateurs locaux de renforcer leurs capacités en bande passante. Et c’est en cela que l’ambition du gouvernement de mailler le territoire national en fibre optique pour interconnecter les 77 communes est intéressante pour peu qu’elle transporte l’internet haut débit et très haut débit, le plus près possible des consommateurs finaux.
Pour concrétiser toute transformation numérique, il faut en amont évaluer la pénétration d’internet dans la localité, se demander combien de personnes utilisent de smartphone et quels sont les services de la mairie auxquels le numérique peut servir de catalyseur. Bien que les réponses à ces questions prouvent que le défi sera ardu, nous ne baissons pas les bras.
Le taux de connexion mobile à la 4G à Sèmè-Podji est compris entre 20 à 40 %, celui de citoyens disposant d’un smartphone est compris entre 60 à 80 %. Le pourcentage de citoyens disposant d’un téléphone portable se situe entre 80 à 100 % tandis-que 60 à 80 % de nos citoyens des six arrondissements ont accès à un compte bancaire mobile.
Si l’on s’en tient à ces données, l’usage des smartphones rime avec l’utilisation des comptes bancaires mobiles. Par contre, d’après cette étude référence réalisée en mai 2020, le téléphone portable est monnaie courante mais très peu de personnes ont accès à la connexion 4G ou utilisent à bon escient l’internet.
En général, les pays situés sur le littoral sont à proximité des câbles de fibre optique et ont donc un accès plus rapide à une connexion moins chère. Spécifiquement, Sèmè-Podji est située entre le département du Littoral et celui de l’Ouémé, du nom d’un fleuve, et est entourée de plusieurs plans d’eau dont l’océan Atlantique.
L’écosystème numérique de Sèmè-Podji est à l’état naissant. Néanmoins, une évolution rapide est attendue avec l’installation dans la commune par le gouvernement en 2021, de la cité internationale de l’innovation et du savoir dénommée Sèmè-City. Il s’agit d’un centre d’excellence de l’éducation au niveau des innovations.
Le taux de connexion mobile à la 4G à Sèmè-Podji est compris entre 20 à 40 %, celui de citoyens disposant d’un smartphone est compris entre 60 à 80 %. Le pourcentage de citoyens disposant d’un téléphone portable se situe entre 80 à 100 % tandis-que 60 à 80 % de nos citoyens des six arrondissements ont accès à un compte bancaire mobile
Pourquoi la commune de Sèmè-Podji a-t-elle choisi de focaliser prioritairement son attention sur la numérisation du système foncier ?
Qui dit Sèmè-Podji disait fréquemment risque potentiel de transactions frauduleuses à travers la délivrance d’actes identiques à plusieurs présumés propriétaires ou usagers demandeurs. Il est urgent de réfléchir à un système qui va permettre de freiner le niveau assez élevé de litiges fonciers à Sèmè-Podji. Les normes du foncier sont superposées. Même au niveau de la mairie, deux ou trois actes étaient parfois délivrés à plusieurs personnes sur un même domaine.
Par semaine, la mairie peut recevoir près de cinq convocations du tribunal, c’est ainsi jusqu’à ce jour. Il est déjà arrivé que le procureur interpelle la commune pour lui proposer de faire un audit de son système foncier. Quand vous recevez la convocation du tribunal, vous vous dites que c’est une affaire banale mais quand l’audience s’ouvre, et que les parties commencent à soutenir leurs arguments, le procès devient immédiatement un gros dossier.
Les procès liés à la gestion foncière prennent tellement de temps que l’administration de la mairie a du mal à se concentrer sur les problèmes de lotissement, d’éducation, de santé qui sont tout aussi très urgents pour les populations à la base. Il arrive souvent que le chef service domanial se retrouve au tribunal 04 jours sur 07 dans la semaine.
L’écosystème numérique de Sèmè-Podji est à l’état naissant. Néanmoins, une évolution rapide est attendue avec l’installation dans la commune par le gouvernement en 2021, de la cité internationale de l’innovation et du savoir dénommée Sèmè-City. Il s’agit d’un centre d’excellence de l’éducation au niveau des innovations
Nous pensons qu’avec une stratégie de dématérialisation et d’usage du numérique dans le foncier, nous pouvons limiter un tant soit peu la saignée tout en étant en phase avec les normes et procédures de l’Agence nationale du domaine et du foncier.
Que faut-il alors faire pour développer l’entrepreneuriat numérique et l’employabilité des jeunes à Sèmè-Podji ?
Pour améliorer les compétences des jeunes dans le numérique, la première démarche est de corriger les inégalités qui subsistent entre le milieu rural et le milieu urbain par rapport surtout au manque et à la qualité des infrastructures. Nos efforts combinés à ceux de l’État central ont abouti à la création d’un point numérique communautaire que nous avons installé à l’arrondissement central et d’un cyber disposé à la maison des jeunes pour renforcer les offres digitales sociales envers la couche juvénile.
L’économie numérique est marquée également par des centres informatiques privés ou des cybers centres qui sont majoritairement animés par de jeunes entrepreneurs. L’accessibilité numérique peut permettre de booster les projets d’entreprise des jeunes en leur faisant réaliser davantage de chiffres d’affaires.
Quelles sont vos perspectives dans la lutte contre « l’analphabétisme numérique » ?
Votre question est pertinente. C’est le propre de toute transformation sociale. Des changements dans le développement économique et social des communautés induisent de nouveaux défis à relever. Par ailleurs, les technologies de l’information et de la communication ont changé les modes de vie, d’acquisition des connaissances et de production.
Il est urgent de réfléchir à un système qui va permettre de freiner le niveau assez élevé de litiges fonciers à Sèmè-Podji. Les normes du foncier sont superposées. Même au niveau de la mairie, deux ou trois actes étaient parfois délivrés à plusieurs personnes sur un même domaine
La révolution numérique est en train de s’installer progressivement au Bénin et elle doit, comme vous l’observez, se heurter à ce facteur d’analphabétisme numérique. On ne regardera pas le moindre mal pour refuser de s’évertuer à mieux faire. A fortiori, nos mamans commerçantes de la commune arrivent à s’investir dans le transfert d’argent et même à vendre des recharges elles-mêmes avec leur téléphone portable.
Le minimum de compétence aujourd’hui avec les TIC, c’est de pouvoir répondre à un appel, identifier depuis son lieu de commerce, son enfant avec les applications numériques ou le GPS, aller quelque part sans avoir forcément à se déplacer.
Si je veux circuler à taxi-moto comme c’est le cas dans nos villes, je n’ai plus besoin de me mettre au bord de la voie pour héler un zémidjan (Le zémidjan qui signifie en langue locale fon « emmène-moi vite » est une moto-taxi que l’on trouve au Bénin ndlr). Avec mon téléphone, le conducteur peut venir me chercher devant mon bureau. Dès que je descends, une application me facture la distance parcourue et je paie. Tous les usagers utilisent cette plateforme aujourd’hui. Les gens s’adaptent.
A l’avènement des téléphones portables, cette évolution n’était pas évidente. Progressivement, tout comme la révolution fulgurante de la monnaie électronique et au regard de toutes les opportunités que drainent les nouvelles habitudes, la révolution numérique finira par rattraper tous les corps de la société.
Les procès liés à la gestion foncière prennent tellement de temps que l’administration de la mairie a du mal à se concentrer sur les problèmes de lotissement, d’éducation, de santé qui sont tout aussi très urgents pour les populations à la base. Il arrive souvent que le chef service domanial se retrouve au tribunal 04 jours sur 07 dans la semaine
Ceux qui n’ont pas été à l’école mais savent utiliser le téléphone sans fil, donnent d’emblée l’impression de savoir lire et écrire. Ce n’est pas une fausse perception à mon avis. L’alphabétisation numérique passe également par la vulgarisation des langues locales. L’outil numérique, non seulement brise les barrières mais on peut s’en servir pour lutter contre l’analphabétisme des adultes et promouvoir les langues de chez nous.
En 2021, le gouvernement installe à Sèmè-Podji le centre Sèmè-City qui rassemble des institutions de formation de haut niveau, des centres de recherche et de développement ainsi que des incubateurs de solutions innovantes pour répondre aux défis du Bénin et de l’Afrique. Quelles sont les retombées d’une telle initiative pour la ville ?
Le déménagement du campus Sèmè-City de Cotonou en 2021 va attirer tout un éventail d’entrepreneurs et de pépinières d’entreprises vers Sèmè-Podji. Grâce à ce projet, la ville reçoit de plus en plus d’investissements.
L’arrivée de Sèmè-City va aider l’administration communale à aller beaucoup plus vite. Les produits, les start-up qui sortiront de cette institution, avec le partenariat que nous avons, viendront bonifier l’ambition de la commune d’aller vers le numérique. On parle d’un centre international sur plusieurs hectares avec beaucoup de pôles de formation dans diverses disciplines.
L’espace prend en compte deux arrondissements à savoir Sèmè-Podji et Tohouè dont on attend plus de viabilisation à travers l’implantation de ce centre international. Sèmè-Podji sera l’attraction des jeunes de tous horizons. La ville n’en sera que développée.
En captant ce dividende économique, la mobilité, le secteur de l’immobilier, les petits commerces, tous les domaines de l’activité économique connaitront une métamorphose.
L’accessibilité numérique peut permettre de booster les projets d’entreprise des jeunes en leur faisant réaliser davantage de chiffres d’affaires
Le domaine qui doit abriter ce centre est déjà déclaré d’utilité publique. Lors de sa dernière tournée de reddition de comptes, le chef de l’État, son Excellence Patrice Talon a affirmé que ce projet est entre autres, l’ossature de son quinquennat.
Le maire a toujours revendiqué une approche centrée sur le citoyen. En quoi un utilisateur du numérique renforce-t-il la démocratie via la « civic tech » ici à Sèmè-Podji ?
Je peux tout de suite citer le projet Allo Mairie soutenu par l’Association nationale des communes du Bénin et qui consiste en la mise en place d’une plateforme qui permet à tout usager, de pouvoir se prononcer sur la gestion publique, de requérir les services de la mairie. Cette plateforme fonctionnera très bientôt comme un call center sur lequel il y aura des informations ordinaires, mais dans le cadre d’un service précis à rendre au citoyen, ce call center se chargera de relayer l’information pour que l’usager puisse en retour trouver satisfaction.
Il y a trois ans, le chef de l’État a introduit une taxe sur les forfaits réseaux sociaux et internet. Chez un des opérateurs, le forfait internet a plus que doublé de prix avec de surcroit, une baisse du volume des données.
La campagne #TaxePasMesmo est alors née et a abouti à l’annulation de cette taxe. Dans les mois qui vont suivre et en termes de tarification du haut débit mobile, le Bénin est devenu premier pays de l’UEMOA où l’Internet est moins cher suivant le classement de l’Alliance for Affordable Internet, une coalition mondiale qui œuvre à rendre l’internet plus abordable pour les populations.
Des blogueurs étaient à l’origine de cette cybermobilisation. Il y en a qui, s’ils ont des garanties, souhaitent convertir ces initiatives en projets d’entreprise. Les communautés ont la volonté de prendre part au débat public dans l’innovation. Il faut juste les y encourager en optant davantage pour une démocratisation de l’accès à Internet et l’information dans le pays, même au niveau décentralisé.
En quoi le coût de l’Internet au Bénin impacte-t-il les projets de la ville ?
Sèmè-Podji est consciente du caractère universel d’Internet et tient à en faire une priorité. Les citoyens s’accommodent très facilement du coût élevé de la connexion mobile parce qu’ils veulent jouir librement de leur démocratie. Les abonnés de Facebook ont augmenté de 11 % au Bénin selon le rapport d’activités 2020 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste. De 4569 internautes en 2019, on est passé à 5072 internautes en 2020.
Le taux de pénétration mobile est passé de 85,5 % en 2019 à 91,17 % en 2020, soit un gain de 5,67 points sur la période. Le taux de pénétration global de l’internet est évalué à 69,61 % de la population béninoise au 31 décembre 2020, dont 69,36 % pour l’internet mobile et 0,25 % pour l’internet fixe. En 2018, ce taux global était de 48,02 %.
Les citoyens s’accommodent très facilement du coût élevé de la connexion mobile parce qu’ils veulent jouir librement de leur démocratie
En termes d’approche genre, la pénétration d’internet en Afrique est de 33,8 % pour les hommes et 22,6 % pour les femmes.
Ces disparités se manifestent de quelle façon dans la commune de Sèmè-Podji ?
C’est difficile à dire. Très peu d’études tiennent compte de cet aspect. Mais je suis de ceux qui pensent que pour changer la condition des femmes, il faut donner l’opportunité à beaucoup d’entre elles, de se retrouver là où les décisions sont prises et appliquées.
Il n’y a aucune femme dans le conseil communal de Sèmè-Podji. C’est un recul. Dans la précédente mandature qui a pris fin en 2020, la commune constituait un exemple avec 03 figures féminines. Trop peu de femmes occupent un poste de responsabilité dans le domaine des TIC au Bénin. Bien que les politiques mises en place perçoivent les femmes comme des maillons essentiels à la réussite des ambitions de développement, elles ne leur garantissent pas réellement les moyens indispensables à l’accomplissement de leur rôle.
Le taux de pénétration mobile est passé de 85,5 % en 2019 à 91,17 % en 2020, soit un gain de 5,67 points sur la période
La mairie a récemment adopté des outils numériques comme un site web, un logiciel de sûreté immobilière, un logiciel de gestion urbaine. Par ailleurs, elle utilise les systèmes d’information géographique pour cartographier la ville. Comment la commune arrive-t-elle à mettre en œuvre tous ces projets malgré le manque d’électricité et les difficultés liées à la mobilité ?
C’est progressivement que les choses finissent par s’imposer à soi. Jusqu’en 2018, la mairie ne disposait pas d’un site web, d’une interface qui puisse lui permettre de communiquer avec les administrés. Nous l’avons finalement fait. Et il est vrai qu’au regard de toutes les ambitions nourries, la question de l’énergie électrique est fondamentale. L’électrification rurale est indissociable des transformations socio-économiques dans nos communes.
En quoi le numérique peut-il contribuer à l’adressage de la ville par exemple ?
Le numérique peut permettre l’adressage parce que c’est aujourd’hui l’outil moderne de localisation, de géolocalisation et/ou de gestion spatiale, comme en témoigne le cas de la ville de Nouackchott qui l’a choisi comme problématique à résoudre dans le cadre de son programme de transformation numérique. Il est prévu à Sèmè-Podji la construction d’un port pétrolier, minéralier et commercial en eau profonde.
Comment les travaux évoluent-ils et quelles sont les opportunités qui s’offrent aux jeunes à travers ce projet ?
Il s’agit d’un projet d’envergure que la commune de Sèmè-Podji souhaite voir se réaliser de tous ses vœux. De commun accord avec le gouvernement, il a été retenu que l’accent sera mis sur la main-d’œuvre locale. A l’exécution, une part de marché sera réservée aux entreprises de la commune qui ont bien évidemment la compétence requise sur ce type de travaux. La question des retombées est récurrente lors des réunions publiques et des audiences successives organisées dans le cadre de ce projet. Nous pouvons aujourd’hui certifier que la question de l’emploi est un acquis.
Crédit photo : Aston, transition digitale pour des villes durables et inclusives, Etude de référence, mai 2020.
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