La minorité parlementaire dans les démocraties africaines : l’exemple du Bénin, 2018

La minorité parlementaire dans les démocraties africaines : l’exemple du Bénin, 2018

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Auteurs : Arsène-Joël Adeloui

Type de publication : Article

Date de publication : 2018

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Introduction

Désormais, « majorité » et « minorité » ne seront plus considérées comme deux entités antinomiques; leur rôle est complémentaire dans une démocratie parlementaire. Aussi nécessaire qu’elle puisse apparaître pour l’affermissement des régimes démocratiques, la minorité parlementaire n’a pas fait l’objet de curiosité intellectuelle assez poussée ou l’a fait de façon très furtive au travers de quelques études à la différence de la majorité parlementaire qui a connu en France un engouement scientifique plus prononcé. Trois raisons au moins liées à la définition, à l’angle d’étude et à l’utilité de la notion de minorité parlementaire dans une démocratie pluraliste expliquent ce désintérêt de la doctrine.

En droit constitutionnel africain, l’idée d’une prise en compte des groupes minoritaires est née dès les années 1990 avec l’avènement des processus démocratiques qui ont permis l’instauration du multipartisme et la diversité des opinions sur la gestion du pouvoir d’Etat. C’est en effet, de façon générale, dans les nouvelles constitutions établies, les Chartes des partis politiques et les statuts de l’opposition que l’on peut entrevoir une reconnaissance des droits de l’opposition. Ce qui sous-entend que les minorités politiques étaient diluées dans le terme générique de « l’opposition ». Il n’existe donc pas de façon spécifique un texte sur la minorité parlementaire dans les Etats africains d’influence française.

En droit parlementaire, la minorité est le plus souvent définie de façon arithmétique comme le nombre de députés ou de sénateurs sous-représentés à l’Assemblée ou au Sénat au terme d’une élection législative ou sénatoriale disputée. Cette définition est déduite de celle de la majorité parlementaire.

La préoccupation sur la minorité parlementaire quoique ancienne n’a donc rien perdu de son actualité. Elle se révèle comme une catégorie juridique captivante qui apparaît dans le contexte africain sous un double aspect dont il convient d’appréhender la spécificité à partir de l’exemple béninois. Ce choix se justifie par le fait que l’idée d’une acceptation de la minorité parlementaire a été un véritable parcours de combattant, l’éclosion est laborieuse. Comme on pourrait s’y attendre l’acceptation de la minorité parlementaire comme catégorie juridique est encore malaisée quoique utile pour l’avenir de la démocratie parlementaire.

Une catégorie juridique captivante

Au Bénin, il y a une élévation progressive des députés de la minorité qui sont confortés par une série de décisions constitutionnelles. Ce qui leur permet d’assumer leur posture aux côtés des députés de la majorité.

L’élévation progressive

La marche vers la reconnaissance des droits des minorités parlementaires s’est faite de façon progressive. Les prémices sont d’abord textuelles et la confirmation jurisprudentielle est apparue comme l’aboutissement des difficultés qui ont jalonné la longue marche. On a l’impression que le Benin est sur les traces de l’exemple français49 qui, à l’occasion de la révision de la Constitution le 23 juillet 2008, a définitivement reconnus aux minorités des droits jadis méconnus.

Des prémices textuelles

C’est d’abord dans le Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale béninoise que les bases des droits des minorités parlementaires ont été vaguement abordées dans une expression à connotation purement politique : « la configuration politique ». En effet, aux termes de l’article 15.2-b, « L’élection des deux vice-présidents, des deux Questeurs et des deux Secrétaires parlementaires a lieu, en s’efforçant autant que possible de reproduire au sein du Bureau la configuration politique de l’Assemblée ».

Par cette expression, la Cour constitutionnelle entend « l’ensemble des forces politiques représentées à l’Assemblée nationale et organisées en groupes parlementaires et/ou en non-inscrits ». Bien entendu, à l’époque, la minorité parlementaire n’était pas l’expression utilisée mais on pouvait supposer que c’est sur la saisine des députés de cette catégorie que la Haute juridiction a été amenée à se prononcer sur le vote en seconde lecture des lois relatives à la désignation des personnalités devant siéger à la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA).

Le sentiment de satisfaction qui anime les promoteurs de cette décision car c’est véritablement pour la première fois que la Haute juridiction a scellé définitivement le sort des minorités en leur reconnaissant une protection juridique. Non seulement le juge constitutionnel reconnaît la minorité parlementaire en tant qu’entité à part entière mais aussi lui octroie des droits à l’instar de la majorité

De ces considérations textuelles, deux idées essentielles se dégagent. La première est que la minorité parlementaire est enveloppée dans l’usage de la configuration politique et toutes les fois que l’on l’évoque on s’attend à ce que ses droits soient respectés s’ils étaient méprisés. La deuxième idée est que l’on tend à assimiler la minorité parlementaire à l’opposition parlementaire.

Une fixation jurisprudentielle

On peut comprendre le sentiment de satisfaction qui anime les promoteurs de cette décision car c’est véritablement pour la première fois que la Haute juridiction a scellé définitivement le sort des minorités en leur reconnaissant une protection juridique. Non seulement le juge constitutionnel reconnaît la minorité parlementaire en tant qu’entité à part entière mais aussi lui octroie des droits à l’instar de la majorité.

La minorité parlementaire devient ainsi le fondement de la démocratie pluraliste. A l’opposé, une partie de l’opinion trouve exagérée, voire prétentieuse cette décision et s’en méfie. Elle estime qu’elle doit être ainsi combattue puisque la délibération à l’Assemblée ne privilégie que la règle de la majorité à défaut de l’unanimité.

On retient que les droits de la minorité parlementaire sont ainsi définitivement consacrés. Mais en attendant une législation spécifique sur la minorité parlementaire dans une relecture éventuelle du statut de l’opposition et de la charte des partis politiques, cette catégorie juridique continue d’assumer sa posture au parlement aux côtés de ses collègues de la majorité.

La posture assumée

La minorité parlementaire est désormais réhabilitée. Ses droits sont non seulement reconnus mais aussi garantis par le juge constitutionnel. En matière d’organisation et de fonctionnement de l’Assemblée nationale, elle jouit des mêmes droits et privilèges que la majorité parlementaire. Cette consécration est relativement récente puisque remontant seulement à la fameuse décision du 08 janvier 2009. En effet, le renouveau démocratique des années 1990 y a fortement contribué en faisant de l’opposition parlementaire un acteur incontournable de la démocratie parlementaire.

Un contrôleur redouté

Affirmer que la minorité parlementaire est un « contrôleur redouté » peut apparaître quelque peu exagéré, car, à vrai dire, il n’existe pas a priori un déséquilibre entre les différentes activités qui incombent aux députés.

Cependant, l’on a souvent tendance à attribuer la fonction législative à la majorité parlementaire appelée à soutenir le gouvernement et le contrôle de l’action gouvernementale comme étant l’apanage de la minorité. En effet, Selon la doctrine, « le terme de contrôle désigne les activités politiques des assemblées par opposition à leur activité législative et recouvre une grande diversité d’opérations, qui vont de la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement aux activités informatives ».Cette définition apparaît très large parce qu’elle détaille la fonction du contrôleur qui informe et sanctionne.

Une minorité instrumentalisée

La minorité parlementaire évolue dans un environnement qui lui est souvent préjudiciable. Sa posture est exploitée contre elle au parlement mais aussi en dehors du parlement.

L’influence subie au parlement

La faible représentativité des députés de la minorité fait l’objet de supputations voire de convoitises. En effet, les députés de la majorité gouvernementale comme ceux de l’opposition majoritaire ainsi que les leaders des partis représentés à l’hémicycle, peuvent profiter de leur nombre ou position pour exercer des influences subtiles ou visibles sur les députés.

La minorité parlementaire est désormais réhabilitée. Ses droits sont non seulement reconnus mais aussi garantis par le juge constitutionnel. En matière d’organisation et de fonctionnement de l’Assemblée nationale, elle jouit des mêmes droits et privilèges que la majorité parlementaire. Cette consécration est relativement récente puisque remontant seulement à la fameuse décision du 08 janvier 2009

Si la majorité influence naturellement la minorité parlementaire, l’opposition parlementaire majoritaire peut aussi instrumentaliser la minorité gouvernementale représentée à l’Assemblée. Le scénario décrit précédemment est identique en matière d’initiatives des textes que dans les cas des délibérations où la minorité est simplement marginalisée voire ignorée. Enfin, il est possible que les influences dont il est question proviennent de quelques individualités à l’Assemblée qui sont considérées comme des « députés personnalités » dont la position sociale peut intéresser.

L’influence subie hors du parlement

La minorité parlementaire ne devrait rien craindre en dehors du parlement pour la simple raison que l’environnement immédiat dans lequel elle est appelée à agir est ce cadre. Néanmoins, l’on constate que les députés de la minorité sont également influencés par des acteurs extérieurs à l’Assemblée nationale en raison de leur position stratégique qui pourrait être déterminante pour une délibération importante lorsqu’il est exigé par exemple un vote qualifié.

Dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, le vote qualifié intervient par exemple lorsqu’il s’agit de réviser la Constitution. En pareille circonstance, le vote à la majorité des trois quarts pour la prise en considération du projet ou de la proposition de révision et le vote de quatre cinquième des membres pour la révision proprement dite sont requis.

Le plus souvent, c’est vers les députés de la minorité que l’on se tourne pour rechercher la satisfaction d’une telle exigence en comptant sur leurs voix. Le Président de la République Patrice Guillaume Talon, pour donner une suite à son projet de réformes politiques et institutionnelles, a transmis à l’Assemblée nationale aux fins d’être examiné et révisé le projet de loi portant révision de la constitution du 11 décembre 1990. Après étude en commission du projet et débat en session plénière, vingt députés de la minorité ont voté contre la recevabilité du projet en faisant ainsi échec au processus de révision de la constitution du 11 décembre 1990 qui venait d’être enclenché.96 Dans cet exemple clairement que le vote négatif des députés de la minorité a été nuisible au projet de réforme politique et institutionnelle initié par le Président Patrice Talon.

L’infidélité à sa ligne de conduite

L’opposition minoritaire doit rester loyale et responsable. Il lui est fait obligation de respecter scrupuleusement la Constitution ainsi que les lois et règlements de la République. Logiquement, elle ne devrait pas poser des actes violents de quelque manière que ce soit pouvant entraver ou remettre en cause les institutions de l’Etat.

Les débats au parlement, voire les manœuvres pour la course ou la conquête au pouvoir devraient se faire au moyen de moyens licites et démocratiques. Ces exigences démocratiques sont parfois mal comprises par les députés de la minorité qui croient fouler aux pieds les textes de l’Assemblée parlementaire.

Ayant des droits et obligations prévus par la loi, l’opposition minoritaire ne devrait pas s’écarter, voire s’éloigner de son statut juridique. Pourtant, l’on  constate que les partis minoritaires de l’opposition posent des actes antinomiques qui les obligent à faire volteface ou allégeance pour soutenir les actions du gouvernement qu’ils sont appelés à critiquer.

Même si au nom de la liberté de mouvement, les partis d’opposition ont la possibilité de renoncer à l’appartenance à leur groupe politique initial à condition de faire une déclaration officielle de changement de position, force est néanmoins de constater que cette exigence légale n’est pas souvent respectée.

Quoi qu’il en soit, l’utilité des groupes minoritaires d’opposition n’est plus à démontrer en démocratie. Considérés comme les ferments de la démocratie, les députés de la minorité sont incontournables pour l’approfondissement des démocraties pluralistes en tant que faiseurs du jeu démocratique. Mais lorsqu’on en vient à constater que ces groupes ne jouent pas leur rôle ou sont peu ou pas visibles, la démocratie qu’ils sont appelés à fortifier par leur action qualitative en prend un grand coup.

L’obstruction parlementaire

Le danger qui guette toute assemblée parlementaire est l’usage fréquent de l’obstruction parlementaire qui est un procédé utilisé par la minorité parlementaire pour se faire entendre. Considérée comme une technique de blocage du travail parlementaire, l’obstruction parlementaire est « un ensemble de pratiques et comportements parlementaires dont l’objet est de faire obstacle à la progression de la délibération vers son terme qui est la décision majoritaire ».

Quoi qu’il en soit, l’utilité des groupes minoritaires d’opposition n’est plus à démontrer en démocratie. Considérés comme les ferments de la démocratie, les députés de la minorité sont incontournables pour l’approfondissement des démocraties pluralistes en tant que faiseurs du jeu démocratique. Mais lorsqu’on en vient à constater que ces groupes ne jouent pas leur rôle ou sont peu ou pas visibles, la démocratie qu’ils sont appelés à fortifier par leur action qualitative en prend un grand coup

Elle est donc le fait d’un groupe de parlementaires souvent de l’opposition minoritaire qui, par le truchement de dépôt de motions de procédure ou d’amendements répétitifs, de demandes de vérification de quorum ou de vote public, les rappels au règlement ou l’utilisation systématique du temps de parole en viennent à contrôler en quelque sorte le travail parlementaire.

Lorsqu’il y a obstruction, « la minorité abuse des règles de la procédure parlementaire, et en particulier des droits qu’elles lui reconnaissent, pour tenter de rendre plus difficile ou même d’empêcher le vote par la majorité des décisions auxquelles elle est hostile en paralysant momentanément le fonctionnement du mécanisme parlementaire par l’emploi de procédés conformes au règlement».

Désormais, la minorité parlementaire est distincte de la majorité parlementaire avec des droits et devoirs clairement définis

Retenons que la pratique de l’obstruction parlementaire n’est pas linéaire et varie suivant les Etats et les régimes politiques. Aux Etats-Unis, l’obstruction parlementaire, connue sous le nom de filibustering, n’est pas prohibée lorsqu’elle intervient pour ralentir une procédure menée au pas de charge par le gouvernement. Mais elle devient condamnable si son but est d’empêcher la majorité démocratiquement élue de décider. C’est donc une pratique recommandée en cas de besoin. En Grande-Bretagne, le recours à l’obstruction parlementaire est contrôlé.

La minorité parlementaire se révèle comme un objet d’intérêt juridique captivant dont la trajectoire d’évolution reste encore insaisissable. Si pendant longtemps elle a été marginalisée, la minorité parlementaire est devenue aujourd’hui une catégorie juridique célébrée. Ce revirement n’est pas spontané. C’est le résultat des luttes menées par divers acteurs de la vie politique qui, parfois au prix de leur vie, ont réussi à doter cette catégorie juridique d’un statut particulier.

Désormais, la minorité parlementaire est distincte de la majorité parlementaire avec des droits et devoirs clairement définis. Alors qu’elle devrait incarner l’alternative, la minorité parlementaire semble s’éloigner de ce noble objectif en péchant par son manque de professionnalisme. Alors qu’elle devait constituer un « service public » suivant les termes de Marcel Prélot, elle est devenue une espèce de violence et de haines.