Marvine Ouméyouti est étudiante en Master Etudes cinématographiques et audiovisuelles à la Sorbonne nouvelle à Paris. Journaliste-présentatrice télévision et radio, elle a exercé pendant plusieurs années dans différents organes de presse au Bénin. Pendant le confinement en France, elle a créé « Cinéma Raconté », le premier podcast sur l’histoire des cinémas d’Afrique. Selon cette dernière, c’est une belle façon d’écouter les films quand ils ne peuvent être vus.
Comment avez-vous vécu votre première année en France qui a coïncidé avec l’apparition de la COVID-19 ?
Même avant la Covid-19, c’était déjà très dur. Il s’agit de ma première année en France. Je suis arrivée en septembre 2019 et en janvier 2020, il y a eu la grève des transports et la grève de l’Université. Toute la France était presque paralysée.
La grève a duré de janvier à début mars 2020 et juste après, c’était le premier confinement. J’ai vécu cela difficilement, mais c’est aussi cela, être une jeune africaine, ambitieuse et en quête de mieux-être. On apprend à s’adapter à toutes les situations.
Lorsque je suis arrivée, je n’ai pas pu profiter du pays. J’ai été rapidement confrontée à mon premier défi dans le cadre de mes études. Il fallait se familiariser avec les différentes procédures liées aux enseignements. La façon de rendre les devoirs et de recevoir les connaissances ne sont pas les mêmes qu’au Bénin. Je devais travailler deux fois, trois fois plus que les autres. Le confinement m’a donc permis de mieux me concentrer et recentrer mes objectifs.
Heureusement, le système d’enseignement à distance est plutôt bien organisé à l’université Paris 3. Donc, je ne ressentais pas une grande différence entre les cours dispensés en ligne et à l’université. Les professeurs donnaient des devoirs à rendre.
Tout était organisé pour que de la maison, les étudiants puissent continuer à suivre régulièrement les cours et avoir des notes. Je me suis néanmoins retrouvée dans une situation de dépaysement total puisque je n’avais pas d’amis, de camarades d’amphi avec qui échanger, il n’y avait personne qui me manquait quand je n’allais pas à l’Université. Mon ordinateur a été un compagnon fidèle.
Qu’en est-il de la mobilisation citoyenne de la diaspora pendant la crise sanitaire ?
Je n’ai pas vu la diaspora béninoise se mobiliser. Il faut dire aussi que je venais d’arriver et je n’étais pas bien intégrée. Je ne maitrisais pas encore les réseaux africains de solidarité ou de mobilisation citoyenne. Et pourtant à Paris, il y a une forte communauté béninoise. En revanche, j’ai suivi plusieurs fois dans les journaux, les communautés sénégalaise et malienne qui cuisinaient pour les étudiants dans le but de leur venir en aide.
Qu’est-ce que vous tirez comme leçons de la crise de Covid-19 ?
Que l’on se retrouve seul face à soi-même. Ce qui m’a marquée pendant le confinement, c’est le temps qu’on a devant soi pour réfléchir à son existence, faire une véritable introspection, voir ce qui a marché, et ce qui n’a pas marché.
Je me suis néanmoins retrouvée dans une situation de dépaysement total puisque je n’avais pas d’amis, de camarades d’amphi avec qui échanger
Il a fallu au milieu de ces informations qui annonçaient les morts par milliers, faire un bilan de sa vie, se demander ce qu’on a réussi, ce qu’on aurait dû mieux faire et surtout, la personne qu’on allait devenir, une fois la pandémie vaincue dans trois, quatre ou cinq ans…
La COVID-19 permettait d’avoir beaucoup de temps. Lorsque vous disposez de beaucoup de temps, cela vous amène à beaucoup réfléchir. Tout le monde n’a en effet pas utilisé son temps de la même manière. En France, il y a une forme de règle qui s’impose tout de suite à vous.
Vous n’avez pas besoin de « connaitre quelqu’un qui connait quelqu’un » avant d’évoluer. Il faut juste affirmer ses qualités, démontrer ce dont on est capable pour espérer décrocher son étoile. Pour ma part, c’est comme cela que les choses se sont passées.
Je suis arrivée à Paris avec ma passion pour le cinéma et en France, vous avez accès à une quantité incroyable de films de tous horizons. Pendant le confinement, j’ai donc pu regarder beaucoup de films africains. Juste après cela, j’ai effectué des recherches sur les réalisateurs, sur leurs visions du monde qui se traduisaient aussi dans les films.
C’est ainsi que j’ai réalisé que la plupart des jeunes africains, ne connaissent même pas ces films qui racontent pourtant une bonne partie de l’histoire sociale et politique du continent.
J’ai eu l’idée de faire connaitre ces films africains en réalisant des podcasts d’environ 10 minutes, un projet que j’ai dénommé « Cinéma Raconté ». J’ai axé dans un premier temps les épisodes sur des films patrimoines de l’époque post indépendance. Je pense même que ces œuvres devraient être diffusées dans les écoles africaines pour vulgariser notre patrimoine culturel, surtout nos traditions, montrer comment elles étaient perçues.
L’ancien président français Nicolas Sarkozy a dit que l’Afrique n’est pas suffisamment rentrée dans l’histoire. Je pense que l’Afrique, c’est l’histoire, il faut juste la connaitre.
La première saison du podcast a bien marché, je ne m’attendais pas à autant d’engouement autour de ce genre de contenu. Nous avons fait 12 épisodes avec un bonus sur l’emblématique « La Noire de… » du cinéaste Sembène Ousmane. Pour la nouvelle saison, j’ai décidé d’y associer des réalisateurs plus contemporains qui écrivent aussi leur version de l’histoire du cinéma africain.
J’ai eu l’idée de faire connaitre ces films africains en réalisant des podcasts d’environ 10 minutes, un projet que j’ai dénommé « Cinéma Raconté »
Tous les épisodes sont disponibles sur toutes les plateformes d’écoute de podcast (Apple, Deezer, Google podcast, Spotify …). Sur Facebook et Instagram, nous partageons régulièrement l’actualité du cinéma africain.
Sincèrement, je pense que l’environnement et le temps qu’on a eu pendant le confinement ont nourri la créativité. Beaucoup de jeunes se sont retrouvés aussi confrontés à ce moment d’introspection et en sont ressortis avec un projet.
Sur les réseaux sociaux, j’ai pu constater que les gens avaient l’imagination féconde, les innovations fusaient de toutes parts avec une explosion des talents grâce notamment au réseau social TikTok. J’ai aussi pu terminer ma formation sur le marketing numérique développé par Google ateliers numériques.
C’est l’environnement qui nous conditionne ainsi. Je pense qu’en étant au Bénin, même confinée, je n’aurais jamais eu l’idée de créer des podcasts. Ici en France, je vis dans un appartement, entourée de films et de livres. En plus, c’est plus facile ici d’effectuer des achats en ligne. Dès que tu commandes un micro, on te le livre en 24 h.
La qualité de la connexion internet est meilleure qu’au Bénin, il y a beaucoup d’applications pour héberger les podcasts…, Bref, ce sont les conditions qui façonnent la progression de l’être humain et réveillent ses talents. Je n’avais jamais fait de podcast. Je me suis simplement adaptée avec mes prérequis en journalisme.
Sincèrement, je pense que l’environnement et le temps qu’on a eu pendant le confinement ont nourri la créativité. Beaucoup de jeunes se sont retrouvés aussi confrontés à ce moment d’introspection et en sont ressortis avec un projet
Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise au plan social et économique ?
Il m’est vraiment arrivé de comparer la France et le Bénin. La jeunesse béninoise s’autocensure parce que le système lui apprend à se contenter du peu, à ne pas faire attention à ce qu’on offre aux autres à côté. Ce n’est que mon avis.
Les jeunes du Bénin et de tous les pays africains au même titre que leurs pairs occidentaux, ont le droit d’espérer des gouvernants un mieux-vivre et un mieux-être. Pour ce faire, il faut sortir, vivre d’autres expériences pour comprendre qu’on ne pense pas suffisamment à nous, à nos besoins, à nos attentes.
En France, on a l’impression que l’État réfléchit chaque seconde, chaque jour, à comment faire pour améliorer la vie de ses citoyens. Chez nous, chacun se débrouille et c’est valable dans presque tous les pays africains. Les restrictions n’ont pas été suffisamment suivies de mesures sociales.
J’ai l’habitude de dire que le peuple français est le peuple le plus gâté par son État. Je rêve de pouvoir en dire autant un jour de mon pays le Bénin.
Les jeunes du Bénin et de tous les pays africains au même titre que leurs pairs occidentaux, ont le droit d’espérer des gouvernants un mieux-vivre et un mieux-être
Je prends l’exemple des restaurants. Tous ont bénéficié des aides sociales ici. C’est vrai que les entreprises payent régulièrement leurs impôts dans l’Hexagone. Au Bénin, l’informel emploie 95 % de la population active et sa contribution à la création de la valeur ajoutée se situe à 57 %, selon le plan national de développement 2018-2025. Malgré son recul entre 2000-2015, le secteur informel représente toujours plus de 60 % du PIB. Or, comme l’affirme le professeur Filiga Michel Sawadogo, « L’État moderne ne peut pas se passer de l’impôt ».
L’informel ne saurait certes constituer une excuse pour un pays qui envisage des mesures de restrictions, comme celles que nous avons connues pendant la COVID-19, de ne pas créer une bulle sociale pour son peuple. Mais cela a, j’imagine, dédouané quelque peu les politiques publiques africaines.
Même nous qui voyageons, je pense qu’on n’a pas eu un regard bienveillant envers nous dans nos propres pays pendant la crise. Au Bénin, on pense que les gens qui arrivent en avion ont de l’argent. Pendant les vacances à Cotonou, j’ai vécu très mal le fait de devoir payer 160 euros soit plus de 100.000 FCFA rien que pour mon test PCR COVID-19 aller-retour.
Vous êtes obligé de payer à l’arrivée et au départ un test PCR alors que vous êtes arrivé au Bénin avec un certificat de vaccination et un test datant de 48 heures. La fiabilité des tests peut même être vérifiée avec le QR Code.
Il suffisait de le scanner le document pour connaitre la durée de validité du test. Au lieu de procéder ainsi, systématiquement, tu devais payer 80 euros à l’arrivée. En France, le test et le vaccin sont gratuits, au Bénin, vous devez payer un test à l’arrivée et au départ, j’ai mal vécu ce procédé. Ce n’est pas un luxe de venir voir sa famille. C’est un besoin psychologique et sociologique. Je me réjouis que depuis le 1er janvier 2022, les tests PCR des voyageurs venant de l’étranger sont acceptés au Bénin.
Comment les immigrés ont-ils vécu la crise ?
Les immigrés ont joué un rôle important en France pendant le confinement à travers les différents métiers dans lesquels ils interviennent. Certes, le débat sur l’immigration a été noyé par la crise de la Covid-19, mais on s’est rendu compte que les immigrés étaient toutes ces petites mains qui ont permis à la France de maintenir le rythme de vie des personnes confinées.
Au Bénin, on pense que les gens qui arrivent en avion ont de l’argent. Pendant les vacances à Cotonou, j’ai vécu très mal le fait de devoir payer 160 euros soit plus de 100.000 FCFA rien que pour mon test PCR COVID-19 aller-retour
Sans eux, il était encore plus difficile de garder les gens chez eux. Pendant la crise, la commande en ligne a augmenté de presque 48 % en France. Qui dit commande en ligne, dit livreur et tous les livreurs sont pratiquement des immigrés, que ce soit dans la restauration ou le commerce en ligne des vêtements ou autres domaines.
C’étaient eux qui venaient nettoyer les rues, ramasser nos ordures, s’occupaient des commodités dans les gares. Les immigrés sont des touche-à-tout qui sont d’une grande utilité pendant les périodes de crise, et tout le monde a compris cela. Est-ce que cela va influencer la suite du débat sur l’immigration ? Grosse interrogation.
Crédit photo : WATHI
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