Éducation terrorisée. L’avenir de l’école dans les zones sous menace terroriste au Nord-Bénin, Réseau Récap Recherche et Action pour la Paix, Avril 2024

Éducation terrorisée. L’avenir de l’école dans les zones sous menace terroriste au Nord-Bénin, Réseau Récap Recherche et Action pour la Paix, Avril 2024

Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.

 

Auteurs : Thierry Bidouzo, Afouda Vincent Agué, Emmanuel Odilon Koukoubou

Site de publication : Recap Network

Type de publication : Rapport 

Année de publication : Avril 2024

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Introduction 

L’école est l’une des institutions les plus touchées par le terrorisme. Même si elle ne fait pas toujours l’objet d’attaques meurtrières, le développement des activités terroristes dans une zone rend finalement son fonctionnement hypothétique. Si elle n’est pas expressément sommée par les terroristes de fermer ses portes, ses occupants – élèves et enseignants – sont souvent obligés de l’abandonner par peur, par opportunisme ou en raison de déplacements forcés. Selon les données de l’ONG Save the Children, au mois de juin 2023, près de 7 800 écoles primaires ont été fermées dans le Sahel central (Burkina, Mali, Niger), privant environ 1,4 millions d’enfants d’accès à l’éducation.

Une école affectée par le terrorisme 

Au terme de l’année scolaire 2022-2023, le contexte sécuritaire a conduit à la fermeture officielle de 11 écoles dans les communes de Matéri, Kérou (département de l’Atacora), Banikoara et de Karimama. Ce chiffre est officiel, renseigné par les autorités publiques. Mais dans nos entretiens, les populations font parfois référence à d’autres écoles, confessionnelles ou informelles, qui ne sont pas renseignées par les autorités publiques.

À la rentrée 2023-2024, l’État béninois a rouvert une partie de ces écoles. Selon les témoignages des acteurs interviewés ces écoles ont accueilli un nombre d’élèves réduit par rapport à la normale. Dans certains cas, les élèves ont été contraints de se déplacer avec leurs parents dans d’autres localités en raison du contexte sécuritaire dans leurs villages d’origine – soit pour se protéger d’éventuelles attaques soit à la suite d’attaques. Le déplacement des parents a conduit à une diminution des effectifs dans les écoles d’origine, mais il a engendré une augmentation des élèves dans les écoles d’accueil, qui ont quasiment doublé d’effectifs.

Au-delà des écoles fermées, celles qui restent ouvertes ne sont pas à l’abri de perturbations fréquentes. Des témoins révèlent des incursions de personnes identifiées comme faisant partie de groupes armés terroristes. Selon les personnes enquêtées, ces individus intimident ou menacent les directeurs d’écoles, les enseignants et les écoliers. Dans le même temps, par peur de tout perdre et avec la volonté de défendre le peu dont ils disposent, certains parents refusent de quitter les villages dont les écoles ont été fermées. Leurs enfants n’ont alors pas l’opportunité de poursuivre leur cursus dans d’autres établissements et se retrouvent de facto en situation de déscolarisation.

La menace terroriste vient complexifier et aggraver une situation dans le domaine de l’éducation déjà fragile dans ces zones du septentrion béninois où les enseignants étaient déjà réticents à se rendre en raison de l’éloignement géographique et des conditions de travail précaires.

Désormais, le contexte sécuritaire est également devenu une cause supplémentaire de réticence des enseignants à accepter des affectations dans les zones touchées du septentrion.

Une école aux perspectives floues 

Ensuite, ces fermetures ont des conséquences sur le corps social. En effet, au-delà des enfants16, les jeunes, privés de cadres susceptibles de les occuper, seraient plus attirés par des activités à risque, de criminalité, ou tentés de rejoindre des groupes terroristes17. L’école est en effet souvent un lieu de rencontres et d’interactions pour les familles, les enseignants et les élèves ; la fermeture des écoles affecte le tissu social et isole les communautés. L’endogénéisation du terrorisme peut s’accentuer car, les jeunes déscolarisés et désœuvrés, notamment ceux ayant déjà atteint l’âge de la majorité (18 ans au Bénin) représentent une cible facile pour les groupes extrémistes.

Il est important de souligner que la déscolarisation affecte différemment les enfants : être privé de la possibilité d’aller à l’école renforce les inégalités sociales. Les inégalités en matière d’éducation constituaient déjà un grand défi pour le système éducatif béninois, où tous les enfants n’avaient pas la possibilité d’aller à l’école. Dans ces conditions, le décrochage forcé de certains apprenants accentue les inégalités. 

Aussi, faut-il souligner qu’une absence prolongée d’éducation et de formation, dans un contexte de montée de l’extrémisme violent, expose ces jeunes enfants et adolescents à se laisser séduire par des activités extrémistes et terroristes. Autrement dit, les efforts d’aujourd’hui de lutte contre le terrorisme risquent d’être vains car ces enfants et jeunes déscolarisés pourraient devenir les terroristes de demain. Ils pourraient développer le sentiment que leur précarité et leur désœuvrement sont du fait de l’État.

Une école à sortir de l’impasse 

Des programmes éducatifs diffusés à la radio à destination d’écoliers n’ayant pas accès à leur école du fait de l’insécurité, au Mali23 comme au Burkina Faso24. À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Les responsables et partenaires de l’éducation dans ces deux pays ont pris ces différentes mesures pour assurer la continuité de l’éducation en temps de conflits. Ces exemples sont une illustration de l’exigence pour les décideurs de garantir en tout temps et tout lieu le droit à l’éducation. Le Bénin ne doit pas y déroger dans le contexte d’insécurité autour de plusieurs régions du pays depuis le début des incidents terroristes. Il est donc impératif de rouvrir les écoles restées fermées pendant une partie de l’année scolaire précédente.

Tout d’abord, il est essentiel d’améliorer la sécurité dans les zones scolaires à risque. À cet effet, il est important de signaler avant tout l’urgence d’installer des clôtures et des portails sécurisés autour des écoles, conformément aux normes de sécurité. Cela permettra de contrôler l’accès aux établissements scolaires et ainsi prévenir l’entrée de personnes inconnues. Dans le même temps, l’option de non-matérialisation des écoles pour qu’elles ne soient pas repérées par les groupes armés peut être envisagée selon le cas.

Ensuite, il importe d’anticiper les menaces potentielles en identifiant les établissements scolaires les plus exposés aux risques. Cette évaluation de la vulnérabilité des écoles doit être suivie de l’application de mesures préventives appropriées pour garantir leur sécurité. Elles peuvent inclure des plans d’urgence, des exercices de simulation ainsi que des protocoles de réaction en cas d’incident. Les enseignants peuvent être formés aux réflexes sécuritaires pour améliorer leur vigilance et leur capacité à repérer les dangers.

Dans le même temps, la situation des écoles surpeuplées par le fait d’apprenants déplacés de zones menacées peut être améliorée par, d’une part, la construction de salles de classes supplémentaires et, d’autre part, l’affectation dans ces écoles des enseignants des établissements fermés.

Le renforcement de la résilience du système éducatif béninois implique la conception et l’application d’un plan d’action à long terme. Les mesures à prendre dans ce cadre peuvent relever des domaines législatif, institutionnel, social et de coopération internationale.

Sur le plan législatif, des instruments peuvent être pris pour protéger les écoles et garantir la continuité des activités scolaires en période de crise. Ces mécanismes peuvent intervenir dans le cadre d’une législation globale sur la prévention de l’extrémisme violent et le terrorisme ou dans le projet de stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent au Bénin. 

Les autorités de l’éducation peuvent collaborer étroitement avec les autorités sécuritaires pour élaborer des protocoles de sécurité spécifiques pour les établissements scolaires. La formation du personnel scolaire (enseignants et autres corps) devrait intégrer des modules tels que la gestion des situations de crise, la sécurité des écoles et la protection des élèves.

Le volet social concernerait, par exemple, l’autonomisation des familles vulnérables. Des programmes sociaux devraient être mis en place pour soutenir les parents dans leurs activités économiques. L’objectif est de réduire la vulnérabilité économique des familles et celle de leurs enfants exposés à l’instrumentalisation de leur situation par les groupes extrémistes. Le développement des activités socio-culturelles et sportives en milieu scolaire serait également bénéfique pour la consolidation du tissu social et du dialogue entre les communautés. 

Recommandations : 

  • La sécurisation des écoles 
  • La sensibilisation et la formation 
  • Un statut particulier pour les enseignants 
  • Les stratégies de réinsertion professionnelle 
  • Un soutien aux parents vulnérables
  • Le renforcement du cadre légal 
  • Un document stratégique 
  • La coopération internationale