WATHI est allé à la rencontre de Georges Amlon, journaliste à la retraite de la presse audiovisuelle publique. Il a été le directeur général de l’Office de la radiodiffusion et télévision du Bénin. Il a également travaillé pendant plusieurs années à Radio France internationale. Georges Amlon a édité plusieurs guides pour accroitre la professionnalisation du secteur des médias au Bénin. Aujourd’hui, il se consacre à la formation des plus jeunes.
Quelles leçons peut-on tirer de la présidentielle du 11 avril dernier au Bénin ?
Cette présidentielle, une fois de plus, illustre un peu ce qu’est le régime sous lequel vivent les Béninois aujourd’hui. Je crois que dans l’histoire démocratique de notre pays, c’est la première fois que nous vivons des élections aussi difficiles. Nous avons eu les municipales l’année dernière, qui avaient été quelque peu chaotiques. Nous avons connu les législatives de 2019 où pour la première fois au Bénin, les manifestations se sont soldées par des morts.
Il ressort des différentes élections que nous avons vécues ces dernières années, y compris la présidentielle à laquelle nous venons d’assister, une désaffection des Béninois pour le vote
Le pouvoir actuel a organisé l’ensemble du tissu qui devrait constituer les piliers de la démocratie de telle sorte que sa vérité à lui, soit celle qui s’impose de toutes les manières possibles. C’est pourquoi, il ressort des différentes élections que nous avons vécues ces dernières années, y compris la présidentielle à laquelle nous venons d’assister, une désaffection des Béninois pour le vote.
Nous avons vu ce qui s’est passé lors des législatives où ils ne sont pas véritablement sortis. La même question du taux de participation s’est posée lors des municipales. Et cette fois encore pour la présidentielle, malgré les chiffres qui sont avancés par la Commission électorale nationale autonome et la Cour constitutionnelle, on sait quelle est la réalité de la participation.
En réalité, il se trouve tout simplement que le taux de participation était devenu un enjeu majeur, parce que c’est grâce à ce taux que le régime actuel peut légitimer le pouvoir qu’il met en place
La plateforme des Organisations de la société civile (OSC) a trouvé un chiffre qui excède tout juste un peu le quart de l’électorat mais, les structures officielles ont dit qu’elles se sont appuyées sur le corps électoral pour déterminer le taux de participation. Celui-ci s’élevait à plus de la moitié des électeurs (le corps électoral étant constitué de l’ensemble des électeurs, il ne s’agirait pas plutôt de la moitié des inscrits ?). En réalité, il se trouve tout simplement que le taux de participation était devenu un enjeu majeur, parce que c’est grâce à ce taux que le régime actuel peut légitimer le pouvoir qu’il met en place.
Comment appréciez-vous le rôle des médias durant cette période électorale ?
Les médias ont informé et éduqué très tôt les populations sur leur rôle, en ce qui concerne l’affichage et les réclamations liées aux listes électorales. Toutefois, pendant la campagne électorale, ils étaient méconnaissables.
On peut se dire que la presse traditionnelle, qu’elle soit du service public ou privé, la presse qu’on connaissait comme vecteur de la démocratie au Bénin, la presse qui était l’élément porteur du débat démocratique, aujourd’hui, ne joue plus ce rôle.
Comparez simplement le taux de diffusion d’éléments consacré au candidat sortant par rapport à ce qu’on a observé chez les adversaires. Le duo Talon-Talata s’est taillé la part du lion.
Les médias sociaux se sont imposés, comme étant les seuls capables de relayer des informations contradictoires au niveau de l’opinion publique avec le risque justement, que ces informations ne proviennent pas de professionnels, que la fausse information prenne le dessus
Le statut de « faire valoir » conféré aux candidats de l’opposition s’est un peu confirmé. C’était celui qui avait les moyens de parler « plus fort » qui a pris le dessus. Vous avez vu cette demande d’explication adressée à un fonctionnaire qui n’en faisait pas assez pour mobiliser les militants. Plus tard, l’auteur de la lettre a été sanctionné pour montrer qu’il y a encore un peu de bon sens dans le débat démocratique au Bénin.
Le véritable débat s’est transposé ailleurs. Les médias sociaux se sont imposés, comme étant les seuls capables de relayer des informations contradictoires au niveau de l’opinion publique avec le risque justement, que ces informations ne proviennent pas de professionnels, que la fausse information prenne le dessus. Si vous vouliez avoir des avis indépendants sur la présidentielle, il fallait se tourner vers les réseaux sociaux.
Quel a été l’impact des médias sociaux pendant la présidentielle ?
Les réseaux sociaux ont eu cet avantage-là, qu’il existe sur ces canaux, une forme de résistance, une forme de débat tel qu’il n’en existe plus du tout sur les médias traditionnels. En fait, par le biais des réseaux sociaux et de façon anonyme, les gens pouvaient relayer les discours contradictoires. Cela a permis de renseigner les Béninois sur ce qui se passait dans la réalité.
Les médias sociaux ont porté à la connaissance des Béninois, des choses qu’aucun média traditionnel n’a pris le risque de relayer
Si les réseaux sociaux n’existaient pas, nous n’aurions pas su le nombre de parrainages que le chef de l’Etat a eu par exemple pour se représenter. C’est grâce aux réseaux sociaux que cette information a filtré.
C’est quelque chose que le candidat Patrice Talon aurait préféré taire pour ne pas qu’on sache le mécanisme qui était mis en place, pour que d’autres prétendants au fauteuil présidentiel, ne puissent pas participer à l’élection. A travers ces nouveaux médias, les personnalités inscrites contre le régime comme le professeur de droit constitutionnel Joël Aïvo ou encore l’ancienne ministre Réckya Madougou ont pu donner de la voix dans le débat électoral.
C’est intéressant de voir cette crédibilité que l’on accorde de plus en plus au rôle des médias sociaux dans la recherche de la transparence du scrutin. Un bon indice pour une gouvernance participative à travers les élections au Bénin
Je ne sais pas si nous aurions eu des échos de troubles survenus à l’intérieur du pays à l’occasion de cette élection et la répression qui s’en est suivie si les réseaux sociaux n’existaient pas. Les médias sociaux ont porté à la connaissance des béninois, des choses qu’aucun média traditionnel n’a pris le risque de relayer.
La fraude a occupé une part importante dans cette élection. Et les médias sociaux ont montré leur efficacité en dévoilant rapidement l’ampleur du phénomène. Grâce à cette veille, le gouvernement est monté au créneau pour se prononcer sur la question et promettre des poursuites. C’est intéressant de voir cette crédibilité que l’on accorde de plus en plus au rôle des médias sociaux dans la recherche de la transparence du scrutin. Un bon indice pour une gouvernance participative à travers les élections au Bénin.
Avez-vous noté des éléments de cohabitation entre les médias traditionnels et les médias sociaux ?
J’ai plutôt noté que ce sont des acteurs des médias traditionnels qui s’expriment beaucoup à travers les réseaux sociaux aussi, même si c’est de façon individuelle dans les forums.
Ce sont les mêmes qui animent les médias traditionnels qui se permettent à travers les réseaux sociaux, que ce soit par WhatsApp, Facebook ou Twitter, une certaine liberté et au besoin même, de faire ressortir des informations qu’ils ont mais n’auraient jamais pu publier dans leurs journaux ou sur les chaînes de radio ou de télévision.
Le débat s’est même posé à un certain moment pour savoir si les acteurs des médias traditionnels avaient le droit d’avoir un blog ou une page pour donner leur opinion
Les acteurs, à l’occasion de la présidentielle, se dédoublent. L’acteur des médias traditionnels qui n’a pas la liberté de s’exprimer à l’intérieur de l’entreprise pour laquelle il travaille, en arrive bien souvent à retrouver en dehors toute sa liberté de ton et à dire les choses qu’ils pensent.
Le débat s’est même posé à un certain moment pour savoir si les acteurs des médias traditionnels avaient le droit d’avoir un blog ou une page pour donner leur opinion. Si on n’y prend garde, bientôt, des journalistes seront contraints à rester dans la ligne qui existe au sien de leurs organes et à s’empêcher de s’exprimer librement sur les réseaux sociaux. En résumé, il n’y a pas eu une cohabitation instituée entre les réseaux sociaux et les médias traditionnels dans le sens de l’information de la population.
Quelle appréciation faites-vous de l’encadrement des réseaux sociaux dans l’espace public en période électorale ?
La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) n’a pas arbitré les médias pendant la présidentielle. L’argument du manque de moyens juridiques sur le plan des médias sociaux n’est qu’un prétexte. Avoir des difficultés à contrôler ce qui transite sur Internet, n’est pas l’apanage du Bénin. Je ne connais d’ailleurs aucun pays où la régulation des réseaux sociaux se passe de tout repos.
Nous faisons grief à la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication qui a constitutionnellement un devoir d’encadrement des médias en particulier lors des périodes électorales, d’être largement favorable au pouvoir en place. Par le passé, elle a fait mieux.
Nous faisons grief à la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication qui a constitutionnellement un devoir d’encadrement des médias en particulier lors des périodes électorales, d’être largement favorable au pouvoir en place
Nous avons vu dans ce pays la HAAC contrôler véritablement ce qui se passe dans les médias pendant le scrutin en fixant les règles du jeu et demandant aux acteurs de les respecter. Ce qui a été fait globalement. C’est la Haute autorité qui a permis que tous les candidats s’expriment en 2016, qui a pris sur elle d’organiser pour la première fois dans l’histoire du Bénin, le débat du second tour entre Talon et l’ancien Premier ministre Zinsou. Cette institution dispose de moyens qui, lorsqu’ils sont déployés dans le bon sens, amènent les médias, à faire une couverture plus responsable et démocratique des élections.
Selon vous, que faut-il améliorer dans la couverture médiatique pour les prochaines échéances électorales ?
Le premier principe auquel nous devons revenir, c’est la liberté. La liberté d’expression doit être la règle. Tant que le régime des libertés n’est pas le principe directeur de l’action des médias, il y aura toujours à redire. C’est vrai, aucune liberté ne peut exister sans un minimum de régulation, sans un minimum d’encadrement.
Les violences électorales n’ont pas épargné les entreprises de presse, qui ont vu leurs installations vandalisées. C’est un mauvais signal pour la démocratie électorale au Bénin
Les journalistes ont des devoirs et ils les connaissent. L’une des premières choses qu’il faut restaurer à tout prix, c’est la liberté. C’est autour de cette liberté-là, qu’on pourra organiser tout le reste. Vient ensuite la régulation.
Il faut permettre aux médias de faire leurs devoirs pendant la période électorale en informant librement. Les violences électorales n’ont pas épargné les entreprises de presse, qui ont vu leurs installations vandalisées. C’est un mauvais signal pour la démocratie électorale au Bénin. Si on ne revient pas au fondement qui est la liberté d’expression, il est inutile à mon avis, de parler des autres formes d’organisation. Elles seront toutes biaisées.
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