Dégradation de l’espace civique avant les élections dans les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest Études de cas : Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger et Togo, CIVICUS, 2020

Dégradation de l’espace civique avant les élections dans les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest Études de cas : Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger et Togo, CIVICUS, 2020

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Auteur : François Patuel

Organisation affiliée : CIVICUS

Type de publication : Rapport

 Date de publication : 2020

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L’espace civique du Bénin est classé comme « obstrué » par le CIVICUS Monitor.

Principales violations de l’espace civique :

  • Décision de 2020 de retirer aux particuliers et aux organisations non gouvernementales la possibilité de saisir la Cour de justice de la CEDEAO et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
  • Persécution judiciaire des blogueurs, journalistes et militants, notamment en vertu du Code du numérique de 2018.
  • Élections d’avril 2019 entachées de violations : coupure d’Internet, usage excessif de la force lors des manifestations, interdictions de manifester, assassinats et arrestations de manifestants.

Contexte politique « D’une élection troublée à l’autre, la peur s’installe. »

Le Bénin se dirige vers une élection présidentielle difficile en avril 2021, peut-être sans la participation des candidats de l’opposition.

Selon l’article 132 du Code électoral de 2019 — adopté par une Assemblée nationale sans représentation des partis d’opposition — les candidats à la présidentielle doivent compter avec le parrainage de 10 % des parlementaires et des maires.

Les candidats de l’opposition peuvent avoir du mal à atteindre ce pourcentage étant donné qu’actuellement aucun groupe d’opposition n’est représenté au Parlement et que le seul parti d’opposition autorisé à se présenter aux élections locales et qui a remporté des sièges est parsemé de conflits internes qui ont conduit son fondateur, l’ancien président Boni Yayi, à démissionner un mois avant le scrutin.

Les élections législatives de 2019 et les élections locales de 2020 ayant conduit à cette situation ont été largement contestées. Malgré l’ordre de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples de suspendre les élections locales13 et les inquiétudes concernant la pandémie de COVID-19, les scrutins se sont tenus le 17 mai 2020.

Plusieurs groupes d’opposition, dont l’Union sociale libérale de Sébastien Ajavon et le parti Restaurer l’espoir de Candide Azannaï, ont boycotté les élections 8 invoquant des inquiétudes sur la révision des lois électorales en 2018 et en 2019, et contestant la légitimité des élections législatives de 2019.

Les groupes d’opposition n’ont pas été autorisés à se présenter aux élections législatives du 28 avril 2019, situation qui a nourri les tensions politiques et a déclenché des manifestations de masse dans tout le pays. La Commission électorale nationale autonome (CENA) a invalidé leurs candidatures le 5 mars pour non-respect du Code électoral de 2018.

Les candidats de l’opposition peuvent avoir du mal à atteindre ce pourcentage étant donné qu’actuellement aucun groupe d’opposition n’est représenté au Parlement et que le seul parti d’opposition autorisé à se présenter aux élections locales et qui a remporté des sièges est parsemé de conflits internes qui ont conduit son fondateur, l’ancien président Boni Yayi, à démissionner un mois avant le scrutin

Des militants de la société civile et des dirigeants de l’opposition, notamment des membres du Parlement, ont été arrêtés dans le cadre des manifestations. Au moins quatre personnes sont mortes de blessures par balle.

Le taux de participation a été le plus bas de l’histoire du pays (27,12 %).16 Après les élections, l’ancien président Yayi Boni a quitté le pays et est resté à l’étranger pendant six mois craignant d’être victime de harcèlement judiciaire.

La Mission d’observation électorale de l’Union africaine a noté que «la rupture du consensus au sein de la classe politique […] a mis à mal le caractère ouvert, inclusif et compétitif qui a traditionnellement caractérisé les processus électoraux antérieurs au Bénin ».

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) ont également fait part de leurs inquiétudes quant à la dégradation de la situation.

En novembre 2019, le Bénin a expulsé l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) en l’accusant de s’ingérer dans la politique béninoise après avoir mis en question la légitimité des élections législatives.

Ces tensions politiques surviennent dans un contexte où la situation du pays en termes de sécurité s’est détériorée et des groupes armés se sont répandus depuis le Sahel jusqu’aux frontières nord du Bénin. Le 9 février 2020 un groupe d’hommes armés a ouvert le feu sur un poste de police du village de Keremou, à la frontière avec le Burkina Faso, tuant un policier.

Bien que les autorités n’aient pas établi de lien entre cet événement et la violence qui déferle sur le Sahel, les circonstances de l’attaque et la motivation des assaillants restent floues. Le 1er mai 2019 deux touristes français ont été enlevés et leur garde a été tué dans la même zone frontalière. Les touristes et deux autres otages ont été libérés dix jours plus tard au Burkina Faso.

Amnesty International a signalé qu’au moins 17 personnes, dont des blogueurs, des journalistes et des militants politiques, ont été accusés en vertu du Code du numérique depuis sa promulgation

Menaces pour l’espace civique Les groupes de défense des droits humains ont exprimé des inquiétudes concernant la réduction de l’espace civique au Bénin, notamment l’adoption de lois répressives, les coupures d’Internet, l’arrestation de journalistes, blogueurs et militants, la répression des manifestations et l’ingérence dans les activités des associations.

Liberté d’expression Les autorités béninoises ont adopté une législation qui viole le droit à la liberté d’expression. Elle est utilisée contre des journalistes, des blogueurs et des militants politiques exprimant leur désaccord. Le Code du numérique promulgué en avril 2018 criminalise la publication de fausses informations, les délits de presse sur Internet et l’incitation à la rébellion sur Internet.

Le nouveau Code pénal promulgué le 28 décembre 2018 criminalise les « atteintes…[contre les] symboles, valeurs et représentations de l’État, de la Nation, de la République, des traditions et des ethnies », et les actions conduisant les électeurs à s’abstenir de voter en utilisant de fausses informations, des calomnies ou d’autres moyens frauduleux.

Amnesty International a signalé qu’au moins 17 personnes, dont des blogueurs, des journalistes et des militants politiques, ont été accusés en vertu du Code du numérique depuis sa promulgation.

Le 3 janvier 2020 la police a arrêté le journaliste Aristide Fassinou Hounkpevi à la suite d’une plainte déposée par le ministre des Affaires étrangères pour « harcèlement par le biais d’une communication électronique ». Le journaliste avait publié des messages sur Twitter s’interrogeant sur son éventuelle nomination comme ambassadeur à Paris. Il a été libéré sous caution après sept jours de détention.

Le journaliste Ignace Sossou a été arrêté le 20 décembre 2019 et a condamné quatre jours plus tard à 18 mois de prison et à une amende de 200 000 francs CFA (environ 360 USD) pour « harcèlement par le biais d’une communication électronique » après avoir publié sur Twitter les déclarations du procureur de la République du Bénin lors d’une conférence. Le 19 mai 2020 une cour d’appel a réduit sa peine à douze mois de prison, dont six avec sursis, mais a augmenté son amende à 500 000 francs CFA (environ 900 USD), bien que Reporters sans frontières ait fourni à la cour d’appel un enregistrement vidéo démontrant que les citations faites par Ignace Sossou étaient exactes.

 Le 19 juin 2019 elle a notifié à Emmanuelle Sodji, journaliste de France 24, son interdiction de travail au Bénin à la suite de reportages qu’elle a produits sur la situation en matière de sécurité dans le nord du pays.34 En juin 2020 elle n’avait toujours pas récupéré son accréditation. Le 6 mai 2020, la HAAC l’a mise en garde sur des « solutions extrêmes » si elle poursuivait son travail malgré le retrait de son accréditation

Il a été remis en liberté le 24 juin 2020 après avoir purgé sa peine. Ignace Sossou avait déjà été condamné le 12 août 2019 à un mois de prison avec sursis et à une amende de 550 000 francs CFA (environ 988 USD) pour « publication de fausses informations sur Internet » après avoir publié des articles sur l’évasion fiscale au Bénin.

Le journaliste Casimir Kpedjo a été arrêté le 18 avril 2019 à la suite d’une plainte déposée par le représentant légal de l’État parce qu’il avait déclaré sur Facebook que la dette du pays avoisinait les 725 millions de dollars américains (environ 400 milliards de francs CFA), une situation contraire à la Loi de finances 2019. Il a été accusé de publication de « fausses informations ». Il a été libéré sous caution le 23 avril 2019.

Son procès a été reporté dix fois et est à présent prévu en décembre 2020.33 La Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) a sanctionné de manière arbitraire des journalistes et des médias.

Le 19 juin 2019 elle a notifié à Emmanuelle Sodji, journaliste de France 24, son interdiction de travail au Bénin à la suite de reportages qu’elle a produits sur la situation en matière de sécurité dans le nord du pays.34 En juin 2020 elle n’avait toujours pas récupéré son accréditation. Le 6 mai 2020, la HAAC l’a mise en garde sur des « solutions extrêmes » si elle poursuivait son travail malgré le retrait de son accréditation.

En décembre 2019, la station de radio Soleil FM, propriété de l’opposant Sébastien Adjavon, 10 a dû suspendre ses émissions car la HAAC avait estimé qu’elle ne pouvait pas valider sa demande de renouvellement de licence. Le 28 avril 2019, jour des élections législatives, les autorités béninoises ont coupé Internet, sapant ainsi le travail des journalistes et des organisations de la société civile.

Selon le ministère des affaires étrangères des États-Unis, « un responsable du ministère des Communications a dit à un représentant diplomatique que la coupure d’Internet avait été décidée pour empêcher la diffusion de “fausses informations” le jour du scrutin. »

Liberté de réunion pacifique « Nous avons vu la violence employée contre ceux qui sont descendus dans la rue lors des élections législatives de 2019. Nous avons constaté comment les autorités ont dissimulé tout sous couvert de la loi d’amnistie. Donc, lors des élections locales, personne n’a osé dire quoi que ce soit. Tout le monde a peur. » Défenseur des droits humains, Cotonou, 19 mai 2020 Le Code pénal adopté en 2018 restreint le droit à la liberté de réunion pacifique et a été utilisé pour arrêter et garder sous détention des manifestants pacifiques.

Ce texte criminalise « tout attroupement non armé qui pourrait troubler la tranquillité publique » et « toute provocation à un attroupement non armé ». Entre février et mars 2019, à l’approche des élections législatives d’avril 2019, les autorités béninoises ont imposé des interdictions générales des manifestations dans plusieurs villes, dont Abomey Calavi, Allada, Glazoue, Parakou et Porto-Novo.

Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force pour disperser les manifestants et ont utilisé des gaz lacrymogènes, des matraques et des balles réelles. Des forces militaires ont été déployées sur certains lieux de manifestation. Au moins quatre personnes ont été tuées par des armes à feu dans le cadre de ces manifestations.

Plus de 70 personnes, dont des membres de l’opposition politique et des dirigeants de la société civile, ont été arrêtées dans le cadre des élections législatives. Parmi eux, Joseph Aïmassè, membre de la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin. Il a été arrêté le 28 mars 2019 et a été condamné à deux mois de prison et à une amende de 200 000 francs CFA (environ 360 USD) pour avoir a appelé à une manifestation non autorisée.

En mai 2019, 60 personnes ont été accusées de violences et voies de fait, de participation à un attroupement armé et d’incitation directe à un attroupement armé. Elles ont été libérées le 8 novembre suite à l’adoption d’une loi d’amnistie qui protège aussi les membres des forces de sécurité de poursuites pour les violations des droits humains commises dans le cadre des manifestations.