Bénin, Des vies en suspens le sort incertain des derniers condamnés à mort, Amnesty International, 2017

Bénin, Des vies en suspens le sort incertain des derniers condamnés à mort, Amnesty International, 2017

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Auteur : Amnesty International

Type de publication : Rapport

Date de publication : 2017

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Au cours des trois dernières décennies, le Bénin, pays d’Afrique de l’Ouest, a connu des avancées significatives concernant l’abolition de la peine de mort. La dernière exécution connue remonte à 1987 et la dernière condamnation à mort a été prononcée en 2010. En 2012, le Bénin a adhéré au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (deuxième Protocole facultatif au PIDCP), qui vise à mettre fin à la peine de mort .

En adhérant à ce traité, le Bénin s’engage à ne procéder à aucune exécution et à prendre toutes les mesures nécessaires pour abolir la peine capitale sur son territoire . Aux termes du traité, le Bénin s’est acquitté de ses obligations de ne procéder à aucune exécution.

De surcroît, la Cour constitutionnelle a rendu deux décisions historiques qui ont établi l’abolition de la peine de mort au Bénin. Une récente décision de justice de 2016 rend désormais impossible toute condamnation à mort par les cours, abolissant de fait la peine de mort au Bénin.

Les dispositions relatives à la peine de mort ont déjà été supprimées du Code de procédure pénale et un projet de loi qui vise à réviser le Code pénal et à supprimer expressément les dispositions prévoyant la peine de mort est en instance devant l’Assemblée nationale.

Le Bénin est le 104e pays du monde et le 19e pays d’Afrique subsaharienne à abolir la peine de mort pour tous les crimes. De plus, sept pays ont aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun. Trente quatre autres pays sont abolitionnistes en pratique3 . Par ailleurs, seuls 57 pays maintiennent la peine de mort en droit pour des crimes de droit commun tels que les meurtres.

Amnesty International s’oppose en toutes circonstances et sans aucune exception à la peine de mort, quelles que soient la nature et lescirconstances du crime commis, la culpabilité ou l’innocence ou toute autre situation du condamné, ou la méthode utilisée pour procéder à l’exécution.

Le Bénin a joué un rôle actif dans le mouvement d’abolition de la peine de mort en Afrique. En 2014, il a co-organisé la Conférence continentale sur l’abolition de la peine de mort qui demandait l’adoption d’un protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif à l’abolition de la peine de mort en Afrique.

Toutefois, malgré les fortes avancées accomplies par le Bénin concernant l’abolition de la peine de mort, 14 personnes continuent à croupir dans le quartier des condamnés à mort, confrontées à un avenir incertain. Le Bénin s’est engagé à ne procéder à aucune exécution, mais il n’a pas encore commué les peines de ces condamnés.

Cette synthèse invite les autorités du Bénin à prendre d’urgence des dispositions législatives pour abolir la peine de mort et commuer les peines de tous les condamnés à mort, en mettant fin à l’horrible incertitude qui pèse sur ces 14 hommes depuis au moins 20 ans.

LES OUBLIÉS DU COULOIR DE LA MORT

Il y a actuellement 14 individus condamnés à mort au Bénin, dont 10 Béninois, deux Nigérians, un Togolais et un Ivoirien. Le 30 mai 2016, une délégation d’Amnesty International s’est rendue dans le quartier des condamnés à mort de la prison d’Akpro-Missérété, près de Porto Novo, la capitale du Bénin, et y a rencontré 14 condamnés ainsi que le directeur de la prison.

CONDITIONS DE DETENTION

Ces 14 détenus, tous des hommes, sont sous le coup d’une peine capitale depuis 17 à 18 ans et sont incarcérés dans des conditions d’emprisonnement plus strictes que celles de la population carcérale générale. Les condamnés à mort sont détenus dans une seule cellule avec des lits superposés dans un bâtiment séparé sous très haute sécurité au sein de la cour de la prison. Les contacts avec le monde extérieur sont limités à quelques rares visites étroitement surveillées des membres de leur famille ou d’autres visiteurs autorisés tels que des organisations humanitaires.

Il n’est permis aux prisonniers de sortir de leur cellule que cinq jours par semaine à des plages horaires restreintes pour aller dans la cour du quartier des condamnés à mort. Ils n’ont pas le droit de fréquenter les autres détenus qui peuvent se déplacer librement au sein d’une plus grande cour.

Lorsqu’il y a des problèmes de discipline et qu’un d’entre eux est puni pour mauvaise conduite, c’est l’ensemble du groupe qui est enfermé dans une cellule pour plusieurs jours et qui subit une sanction collective.

Les détenus ont déclaré à Amnesty International qu’ils avaient souffert, au fil des ans, de maladies mettant leur vie en danger, notamment de paludisme et de tuberculose, et que trois d’entre eux étaient décédés en raison de soins médicaux insuffisants lorsqu’ils étaient à la prison de Cotonou avant leur transfert à la prison d’Akpro-Missérété.

Ils ont raconté qu’ils dépendaient de leur famille pour les soins médicaux et que ceux qui n’ont pas de famille leur rendant visite sont contraints d’utiliser le peu de médicaments dont disposent les autres prisonniers pour se soigner. Les autorités pénitentiaires reconnaissent que les détenus ont accès à très peu de soins médicaux

Au Bénin, les conditions d’emprisonnement des condamnés à mort bafouent les droits des prisonniers à la dignité humaine et peuvent d’une certaine façon s’apparenter à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Comme pour toutes les personnes placées en détention par l’État, celui-ci est responsable du bien-être physique et psychologique des condamnés à mort.

Tous les détenus doivent être traités avec humanité et dans le respect de leur dignité, indépendamment de la disponibilité des moyens matériels. Selon l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), toutes les prisons devraient disposer de services de santé selon les mêmes normes que celles existant dans la société.

Le fait qu’ils n’aient pas accès à suffisamment de nourriture bafoue le droit des prisonniers à une alimentation convenable et suffisante6 . Certains des condamnés à mort ont évoqué les conditions de vie qu’ils avaient dans la prison de Cotonou où ils sont restés entre leur condamnation et mars 2010. Ils les décrivent comme encore pires que celles régnant à la prison d’Akpro-Missérété.

C’est ainsi que dans la prison de Cotonou, ils n’avaient droit à aucune visite de la famille et étaient enfermés dans une petite cellule mal éclairée de 10m2 qui était infestée de rats. On ne leur permettait de sortir de leur cellule que 15 minutes une fois par mois pour le rasage .

À la suite d’une visite à la prison de Cotonou en 2008, le Sous-Comité pour la prévention de la torture et d’autrespeines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a conclu que « cette situation est un affront à la dignité humaine et constitue une peine cruelle et inhumaine8 . »

LA SITUATION ACTUELLE DES PEINES DES PRISONNIERS

Les autorités de la prison d’Akpro-Missérété ont remis à Amnesty International un résumé des dossiers pénitentiaires des 14 condamnés à mort. À la lecture des dossiers, l’organisation a constaté que les infractions pour lesquelles les prisonniers ont été condamnés à mort, notamment vol à main armée, association de malfaiteurs, et coups et blessures, ne peuvent être assimilées aux « crimes les plus graves », qui sont les seuls crimes où la peine de mort peut être appliquée aux termes du droit international .

Selon les normes internationales relatives aux droits humains, cela implique un homicide volontaire . Les condamnés à mort ont déclaré à Amnesty International qu’ils avaient tous fait appel de cette peine prononcée contre eux. Seuls deux prisonniers ont affirmé que leurs condamnations à mort avaient été confirmées par une cour d’appel.

De surcroît, la Cour constitutionnelle a rendu deux décisions historiques qui ont établi l’abolition de la peine de mort au Bénin. Une récente décision de justice de 2016 rend désormais impossible toute condamnation à mort par les cours, abolissant de fait la peine de mort au Bénin

Les autres ont indiqué qu’ils ne savaient pas ce qu’était devenu leur recours en raison de leur incapacité de payer les services d’un avocat. Les hommes ont raconté à Amnesty International qu’ils avaient été informés qu’ils ne seraient pas exécutés, mais qu’ils étaient désorientés et anxieux, car leur condamnation à mort n’avait pas été officiellement commuée.

Certains prisonniers ont poursuivi que même s’ils n’allaient pas être exécutés, ils s’attendaient à mourir en prison en raison des mauvaises conditions de vie et du manque de soins médicaux adaptés. Le ministre de la Justice du Bénin a garanti à Amnesty International que les 14 condamnés à mort ne seront pas exécutés et que le Bénin s’est engagé à respecter ses obligations, en vertu du deuxième Protocole facultatif au PIDCP, de ne procéder à aucune exécution.

Toutefois, il a aussi déclaré que l’exécutif n’avait pas le pouvoir de commuer des peines de mort et que la commutation des peines capitales ne pouvait être prononcée que par un juge ou au moyen d’une loi votée par l’Assemblée nationale. Au Bénin, l’incapacité du pouvoir exécutif de commuer des peines capitales entrave fortement le droit des condamnés à mort de demander une commutation de leur peine.

LE STATUT JURIDIQUE DE LA PEINE DE MORT AU BÉNIN

En 2012, le Bénin a adhéré au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (deuxième Protocole facultatif au PIDCP), qui vise à mettre fin à la peine de mort .

L’article 1 du traité dispose que : 1. Aucune personne relevant de la juridiction d’un État partie au présent Protocole ne sera exécutée. 2. Chaque État partie prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction. Depuis que le Bénin a adhéré au deuxième Protocole facultatif au PIDCP, la Cour constitutionnelle a rendu deux décisions historiques sur la peine de mort dans le pays.

Le 4 août 2012, la Cour constitutionnelle indique que puisque le Bénin a ratifié le deuxième Protocole facultatif au PIDCP, « aucune disposition légale ne doit plus faire état de la peine de mort » dans le pays .Ceci a conduit l’Assemblée nationale à supprimer le 17 décembre 2012 les dispositions prévoyant la peine de mort du Code de procédure pénale15 .

À la suite de l’adhésion au deuxième Protocole facultatif au PIDCP et de la décision du mois d’août 2012, certains estimaient que le Bénin avait en fait aboli la peine de mort au-delà de la disposition légale du Code de procédure pénale .

L’Assemblée nationale a ensuite supprimé les dispositions prévoyant la peine de mort du Code de procédure pénale bien que celles-ci restent encore inscrites dans le Code pénal. Dans une autre affaire marquante, la Cour constitutionnelle a établi sans ambiguïté que l’entrée en vigueur du deuxième Protocole facultatif au PIDCP par suite de sa ratification par la République du Bénin « rend désormais inopérantes toutes dispositions légales [y compris celles du Code pénal prévoyant comme sanction la peine de mort » .

La Cour constitutionnelle considère « qu’aucune disposition légale figurant dans l’ordre juridique interne ne doit plus faire état de la peine de mort ; que, de même, aucune poursuite pénale engagée par une juridiction, quelle qu’elle soit, ne doit avoir comme base légale une disposition prévoyant comme sanction à l’infraction commise la peine capitale, de sorte qu’aucune personne ne peut plus désormais être condamnée au Bénin à une peine capitale » .

Cette décision abolit véritablement la peine de mort au Bénin pour tous les crimes. Un projet de loi qui vise à réviser le Code pénal et à supprimer expressément les dispositions prévoyant la peine de mort est en instance devant l’Assemblée nationale.