Bénin : Coûts économiques du mariage des enfants et solutions potentielles, UNICEF et Banque Mondiale, Décembre 2021

Bénin : Coûts économiques du mariage des enfants et solutions potentielles, UNICEF et Banque Mondiale, Décembre 2021

Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.

 

Auteurs : Quentin Wodon, Chata Male, Ada Nayihouba et Adenike Onagoruwa

Site de publication : UNICEF Bénin

Type de document : Rapport

Date de publication : Décembre 2021

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Introduction

Malgré les progrès significatifs enregistrés au cours de ces derniers années, au Bénin les filles ont toujours des niveaux de scolarité au secondaire inférieurs à ceux des garçons en partie à cause du mariage des enfants. Le manque d’éducation des filles ainsi que les grossesses précoces qui en résultent ont des impacts importants sur d’autres indicateurs du développement, dont les indicateurs de santé pour les enfants nés de jeunes mères et ceux liés à l’autonomie des femmes.

Coûts économiques du mariage des enfants

S’il n’est pas possible de fournir une évaluation monétaire de tous les coûts associés au mariage des enfants, à la procréation précoce et au manque de scolarité des filles, les coûts de certains des impacts les plus importants peuvent être estimés.

Ces estimations des coûts économiques ne doivent pas être considérées comme précises, car elles dépendent de plusieurs facteurs, dont : (1) des estimations économétriques des impacts qui ont elles-mêmes des écart types, et (2) une gamme d’hypothèses de coût qui pourraient être débattues. Cependant, elles fournissent un ordre de grandeur des coûts potentiels du mariage des enfants. Les estimations des coûts dans cette note sont basées sur les pertes annuelles du PIB par habitant ou de ses composantes telles que les revenus du travail.

Les avantages en termes de bien-être, de la croissance démographique plus faible qui résulteraient de la fin du mariage des enfants et de la procréation précoce sont considérables.

Si le mariage des enfants et la procréation précoce avaient pris fin en 2015, les gains annuels immédiats pourraient être équivalents au Bénin à 23 millions de dollars (PPA), passant à 541 millions de dollars d’ici 2030.

L’estimation est basée sur la réduction de la croissance démographique qui résulterait de l’élimination du mariage des enfants et des grossesses précoces, et l’augmentation du PIB par habitant qui en résulterait. Il ne s’agit que d’un ordre de grandeur.

Si le mariage des enfants et la procréation précoce avaient pris fin en 2015, les gains annuels immédiats pourraient être équivalents au Bénin à 23 millions de dollars (PPA), passant à 541 millions de dollars d’ici 2030

En outre, au fil du temps, des économies budgétaires seraient réalisées grâce à une baisse de la demande de services publics due à une croissance démographique plus faible. Des effets similaires sont à l’œuvre au Bénin, même s’ils pourraient être plus faibles en raison des effets moindres de l’élimination du mariage des enfants sur la croissance démographique. Quant aux avantages d’une réduction du retard de croissance des enfants de moins de cinq ans, ils pourraient être évalués à 3 millions de dollars (PPA) d’ici 2030. Le mariage des enfants n’affectant pas directement la mortalité des enfants de moins de cinq ans par le biais de la procréation précoce, aucune estimation n’est fournie pour les avantages à réduire la mortalité des moins de cinq ans.

L’avantage économique potentiel de la réduction du mariage des enfants lié aux gains de bien-être résultant d’une croissance démographique plus faible est considérable, jusqu’à plus de 500 millions de dollars d’ici 2030.

L’impact du mariage des enfants sur le niveau de scolarité a également des implications sur le  potentiel de revenus des jeunes mariées. En amenant les filles à abandonner prématurément l’école, le mariage des enfants entraîne des pertes de revenus à l’âge adulte (Savadogo et Wodon, 2018). Au Bénin, la valeur des revenus supplémentaires que les femmes auraient pu gagner si elles ne s’étaient pas mariées tôt est estimée à 80 millions de dollars (PPA) en 2019.

L’avantage économique potentiel de la réduction du mariage des enfants lié aux gains de bien-être résultant d’une croissance démographique plus faible est considérable, jusqu’à plus de 500 millions de dollars d’ici 2030

En raison du manque de données et de temps, la présente étude ne fournit pas de mesures de l’impact potentiel du faible niveau d’instruction et du mariage des enfants sur la pauvreté monétaire, mais ces effets potentiels sont vraisemblablement importants, comme le suggère l’UNESCO (2017) dans le cas de l’impact du niveau d’instruction sur la pauvreté. Pour illustrer l’ampleur des avantages potentiels de l’élimination du mariage des enfants, des comparaisons avec l’aide publique au développement peuvent être utiles. Au Bénin, l’APD nette s’est élevée typiquement entre 500 et 700 millions de dollars ces dernières années. Cela suggère que d’ici 2030, mettre fin au mariage des enfants et aux accouchements précoces en 2015 pourrait générer des avantages équivalents à l’APD nette reçue par le pays aujourd’hui simplement grâce aux effets sur le bien-être de la croissance démographique.

Mettre fin au mariage des enfants : revue de la littérature

Pour réduire le mariage des enfants et les grossesses précoces et permettre à toutes les filles d’achever leurs études secondaires, certaines conditions générales doivent être remplies par les systèmes éducatifs.

Conditions de base

L’une des meilleures approches pour réduire le mariage des enfants et les grossesses précoces est de trouver des moyens de maintenir les adolescentes à l’école. Ces conditions générales à l’heure actuelle ne sont pas remplies au Bénin ainsi que dans d’autres pays en Afrique.

Premièrement, il faut une infrastructure scolaire suffisante. Dans de nombreux pays, l’accès à l’enseignement secondaire inférieur et supérieur reste faible, en partie parce qu’il n’y a pas assez d’écoles secondaires, surtout dans les zones rurales. Les écoles doivent également fournir un accès à l’eau, aux toilettes et aux installations sanitaires qui sont importantes pour les adolescentes. Lorsque les écoles ne peuvent pas être construites à proximité, fournir des modes de transport pour les filles pour aller à l’école est une option. Enfin, des interventions sont nécessaires pour s’assurer que les filles ne sont pas harcelées sur le chemin de l’école ou même à l’école (sur la violence liée au genre et comment la réduire, voir par exemple Abramsky et al., 2014).

Deuxièmement, le système éducatif doit garantir l’apprentissage. Dans de nombreux pays d’Afrique (Bashir et al., 2018) et plus généralement dans de nombreux pays en développement (Banque mondiale, 2018), les performances des étudiants sont faibles, comme le mesurent les évaluations nationales et internationales des étudiants. Il faut inverser ces tendances en investissant dans les systèmes éducatifs, non seulement pour un meilleur accès, mais aussi pour une meilleure qualité.

En outre, même lorsque l’âge minimum du mariage est fixé à 18 ans, il existe souvent des exceptions dans la loi qui permettent aux filles de se marier plus tôt avec le consentement des parents ou celui des tribunaux

Troisièmement, pour atteindre toutes les filles, la scolarisation doit être abordable pour les parents. Les gouvernements successifs du Bénin, l’ont si bien compris que la scolarisation des filles est gratuite jusqu’à la fin du 1er cycle de l’enseignement secondaire. Les coûts directs et les coûts d’opportunité de l’enseignement secondaire restent élevés dans de nombreux pays de la région. Des changements de politiques ainsi que des interventions ciblées sont nécessaires pour réduire ces coûts.

Le mariage des enfants, la procréation précoce et le faible niveau de scolarité des filles contribuent à l’inégalité liée au genre (Klugman et al., 2014). En particulier la Convention relative aux droits de l’enfant souligne la nécessité d’un consentement plein et éclairé pour le mariage et note que les enfants n’ont pas la capacité de donner un tel consentement. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’âge de 18 ans est recommandé comme âge minimum du mariage.

Pourtant, dans de nombreux pays, le Code civil fixe l’âge minimum légal du mariage légal à moins de 18 ans pour les filles.

En outre, même lorsque l’âge minimum du mariage est fixé à 18 ans, il existe souvent des exceptions dans la loi qui permettent aux filles de se marier plus tôt avec le consentement des parents ou celui des tribunaux.

Enfin, au-delà de la législation, des interventions spécifiques sont nécessaires, car le mariage des enfants continue d’être répandu même dans les pays qui ont adopté des lois interdisant cette pratique. Si l’adoption de lois est un pas important, ce n’est pas suffisant.

Interventions spécifiques pour mettre fin au mariage des enfants

Autonomiser les filles

L’accent sur l’autonomisation des filles en leur fournissant des compétences de vie pratiques et des connaissances en matière de santé reproductive. L’intervention typique est celle d’un « club espace sûr » au sein duquel les adolescentes peuvent s’exprimer en sécurité. Ces clubs constituent des plates-formes de prestation pour réunir les filles avec un mentor adulte de confiance à un moment et à un endroit précis. Elles acquièrent des compétences de vie, y compris des compétences socio-émotionnelles telles que la pensée critique et la résolution de problèmes, la communication et la négociation (par exemple au sein de leur futur ménage). L’un des objectifs est souvent de renforcer la conscience de soi et l’estime de soi des filles afin qu’elles puissent explorer et réaliser leurs propres aspirations. Ces programmes ont contribué à améliorer les connaissances et les comportements en matière de SSR.

Cependant, sans interventions supplémentaires liées à la scolarité ou à l’emploi et aux moyens de subsistance, il n’est pas certain que des espaces sûrs soient suffisants pour retarder le mariage et la procréation (même si cela n’a peut-être pas été un objectif principal de ces projets). Par conséquent, il est important d’envisager des programmes dans lesquels des espaces sûrs ont été combinés avec des opportunités d’emploi et des incitations à rester à l’école, généralement avec des impacts plus importants sur l’âge au mariage et à la maternité.

Offrir des opportunités d’emploi

La deuxième catégorie de programmes combine l’accent mis sur l’autonomisation des filles, souvent grâce à des clubs espaces sûrs, avec un accent supplémentaire sur la fourniture d’emplois ou moyens de subsistance. Ces programmes conviennent aux filles qui ne sont pas scolarisées. Pour ces filles, l’acquisition de compétences en vue de générer des revenus peut constituer une alternative au mariage et à la procréation précoces. Plusieurs de ces programmes réussissent également à accroître l’utilisation de contraceptifs modernes et à améliorer les connaissances en SSR, ce qui peut aider à retarder la procréation. Dans certains cas, les programmes réussissent également à retarder l’âge du mariage et à réduire les grossesses chez les adolescentes.

Fournir des incitations pour garder les filles à l’école

Le troisième ensemble de programmes se concentre sur le maintien des filles à l’école, ou leur permettant de revenir à l’école en cas d’abandon scolaire et le report du mariage. Les transferts monétaires (conditionnels ou inconditionnels) pour encourager l’éducation des filles, promouvoir la santé et soutenir les familles pendant les chocs peuvent être efficaces. Bien que tous les programmes ne réussissent pas dans tous les domaines, les données sont globalement convaincantes que, par rapport aux deux autres types de programmes examinés ci-dessus, ceux qui se concentrent sur la scolarisation des filles ou, dans certains cas, sur le report de l’âge au mariage par des incitations financières, peuvent être plus efficaces pour retarder le mariage et la procréation.

Résumé pour les interventions ciblées

Les trois types d’intervention mentionnés ci-dessus ne se veulent pas exhaustifs. Les divers programmes et interventions ne sont pas non plus mutuellement exclusifs mais peuvent en fait se compléter. En ciblant différents groupes de filles, par exemple celles qui sont à l’école ou qui ont le potentiel de retourner à l’école ainsi que celles qui ont abandonné l’école et ne peuvent pas avoir la possibilité de retourner à l’école, les trois catégories de programmes devraient être prises en compte lors de la mise en œuvre d’une stratégie visant à améliorer les opportunités pour les adolescentes.

Conclusion

Si les investissements visant à réduire le mariage des enfants, à prévenir les grossesses précoces et à promouvoir l’éducation des filles ne doivent pas reposer uniquement sur des considérations économiques, cette note démontre que les avantages de tels investissements seraient importants au Bénin. La démonstration de l’ampleur de ces coûts fournit une justification supplémentaire pour des investissements en faveur des adolescentes.

Parmi les avantages économiques de l’élimination du mariage des enfants et de la prévention des grossesses précoces, on peut citer : (1) une croissance plus élevée du PIB par habitant grâce à une croissance démographique plus faible ; (2) des revenus du travail plus élevés pour les femmes à l’âge adulte ; (3) des revenus du travail plus élevés pour les enfants à l’âge adulte grâce à une réduction des retards de croissance ; (4) une évaluation des avantages liés aux vies d’enfants sauvées ; et (5) des besoins budgétaires réduits grâce à une croissance démographique plus faible. Bien que cette liste d’avantages ne soit en aucun cas exhaustive, elle comprend certains des avantages économiques les plus importants auxquels on peut s’attendre (Wodon et al., 2018).