Miguèle Houeto est la présidente en exercice de l’Organisation non gouvernementale Human Rights Priority (HRP-ONG). Son organisation œuvre à la promotion et à la défense des droits humains ainsi qu’à la culture de la paix au Bénin depuis 2018. Miguèle Houeto a lancé plusieurs initiatives citoyennes dont la dernière en date a pour nom “Un tuun sɛ́n” ( “Je connais les lois »).
Quelles leçons tirez-vous de la présidentielle du 11 avril 2021
Depuis 2019, le Bénin a amorcé une série d’élections, notamment, celle ayant conduit à la désignation des nouveaux membres du parlement ; celle qui a abouti à la désignation des élus locaux et communaux ainsi que l’élection présidentielle tenue le 11 avril 2021.
Cette série de joutes électorales, on le sait, a engendré beaucoup de heurts. Très controversé, le processus a, à la faveur de réformes dites du système partisan, fait le lit à l’exclusion, des arrestations et même des pertes en vies humaines.
L’élection présidentielle, puisque c’est d’elle qu’il s’agit étant terminée, il faut se tourner vers l’avenir. Mais pour y arriver en toute quiétude, il faille soigner les blessures et réajuster les cartes afin que le chemin à parcourir dès l’investiture du Chef de l’État, soit débarrassé de toutes épines. Ceci ne peut se faire que sur la base des leçons apprises qui sont de plusieurs ordres.
Il est urgent de trouver le traitement adéquat pour la survie de la société civile, indispensable à l’équilibre des forces dans le pays
Il est en effet apparu, que les citoyens développent de plus en plus un désamour pour la chose publique, encore plus pour les élections. Désabusés, ils se sentent pris en otage par des acteurs politiques, dont le leitmotiv semble sortir du champ de l’intérêt général. Cette élection présidentielle a mis à nu l’état de coma très profond dans lequel baigne la société civile béninoise. Ceci se justifie par son incapacité, que dis-je, ses difficultés à désamorcer les crises politiques et sociales d’un caractère silencieux qui ont jalonné le processus électoral et continuent de hanter le tissu social.
C’est pourquoi, il est urgent de trouver le traitement adéquat pour la survie de la société civile, indispensable à l’équilibre des forces dans le pays. Par ailleurs, certaines lois portant en leur sein des dispositions « crisogènes », ont eu pour effet, de créer et d’installer la peur, inhibant ainsi les actions citoyennes pouvant freiner certains « élans suicidaires » pour la démocratie béninoise.
Une autre leçon à tirer avec grands regrets, c’est le choix de la plupart des médias traditionnels, de ne pas rendre accessibles certaines informations. On n’a pas vu le quatrième pouvoir qu’est la presse, jouer véritablement son rôle pendant cette élection.
Certaines lois portant en leur sein des dispositions « crisogènes », ont eu pour effet, de créer et d’installer la peur, inhibant ainsi les actions citoyennes pouvant freiner certains « élans suicidaires » pour la démocratie béninoise
La nature ayant horreur du vide, les réseaux sociaux ainsi que les médias en ligne ont pu parfois informer sans parti pris les électeurs, malgré l’existence de lois dissuasives et les assauts quelques fois menaçants de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication.
Enfin, une des leçons importantes apprises, c’est qu’une partie de l’élite béninoise n’est toujours pas prête à voir une femme accéder au poste de Président de la République du Bénin.
Aviez-vous une crainte d‘une coupure d’Internet pendant le scrutin ?
Cette crainte était bien légitime. Nous avons encore en mémoire la coupure d’Internet survenue en 2019, en plein processus électoral, le jour même du scrutin.
L’Etat a la responsabilité de créer les conditions pour favoriser l’accès à l’information. Mais, de ce que nous avons pu observer au cours du processus électoral de 2021, l’information était une denrée rare, laissant croire qu’il n’y a plus de médias dans le pays. Il a fallu se référer à quelques activistes Web et nouveaux médias pour savoir ce qui se passe à l’intérieur du pays.
Internet n’a pas été coupé, mais nous avons tout de même noté quelques perturbations sur la qualité du service fourni
Heureusement, grâce aux actions concertées et parfois complémentaires de quelques organisations et associations dont Amnesty International Bénin, la connexion était disponible. Internet n’a pas été coupé, mais nous avons tout de même noté quelques perturbations sur la qualité du service fourni. La veille citoyenne, les alertes ainsi que les dénonciations ont été des atouts indéniables. Il faudra les renforcer.
Quelle appréciation faites-vous de la participation des femmes à ce scrutin présidentiel ?
Remarquez déjà, qu’il n’y a eu que deux candidatures féminines déclarées à l’élection. Au final, leurs dossiers ont été recalés pour absence du certificat de parrainage. Le lot de consolation est la présence d’une femme en la personne de Mariam Talata, positionnée comme candidate au poste de Vice-président.
Les seuls et rares moments où les femmes étaient au cœur des débats de cette élection ont été lorsque des autorités se sont rabaissées à les stigmatiser, les chosifier et à tenir des propos discriminatoires à leur encontre
Les seuls et rares moments où les femmes étaient au cœur des débats de cette élection ont été lorsque des autorités se sont rabaissées à les stigmatiser, les chosifier et à tenir de propos discriminatoires à leur encontre. La participation notamment celle politique des femmes, reste un mur à franchir par tous les moyens. Car, en réalité, les Béninois semblent ne pas être pour ce changement de paradigme.
Quels sont les enjeux prioritaires du second mandat de Patrice Talon ?
Il nous semble une nécessité de renforcer les institutions de l’État. C’est l’un des défis majeurs. L’exigence d’avoir des institutions fortes va de pair avec l’État de droit.
L’Etat de droit est une notion citée simplement dans les discours politiques sans que les auteurs acceptent dans les faits, la prééminence du droit sur le pouvoir politique. Chose importante aussi, c’est la nécessité pour les acteurs politiques, de s’écouter, de se parler et surtout de faire passer l’intérêt du pays au-dessus des leurs.
L’exigence d’avoir des institutions fortes va de pair avec l’État de droit
Il est indéniable que le pays traverse une crise politique aigüe. Après l’investiture, le Président Patrice Talon, gagnerait, pour le compte du Bénin à mettre fin aux arrestations en cours et rassembler toutes les sensibilités, en faisant en sorte que le consensus, soit au cœur de ses actions.
Le Chef de l’Etat peut demander la relecture de certains textes afin d’en extirper les dispositions « crisogènes » pour nous éviter l’impasse. Et puis, un peuple éclairé est un peuple aguerri et plus utile à sa nation. Pendant le mandat qui s’est achevé, beaucoup de lois ont été votées. Il est temps de juger de leur impact sur la société.
L’Etat de droit est une notion citée simplement dans les discours politiques sans que les auteurs acceptent dans les faits, la prééminence du droit sur le pouvoir politique
Aussi, faudrait-il éduquer et sensibiliser les Béninois à leurs droits conformément à l’article 40 de la constitution. Enfin, il est temps de donner un nouveau visage à certains secteurs clés du pays dont la santé, la justice ainsi que l’action sociale.
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