Steve Kpoton est juriste de formation. Analyste politique, il est spécialiste des questions de gouvernance démocratique et auteur de l’ouvrage Engageons-nous ! La jeunesse africaine face à son destin politique. Il travaille actuellement sur le projet Jeunesse, éducation civique et droits humains avec la Commission béninoise des droits de l’homme (CBDH) pour le compte de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Dans cet entretien, il fait une lecture de l’élection présidentielle du 11 avril 2021, sous le prisme du nexus développement-démocratie et revient sur la place de la jeunesse dans la formulation des offres politiques.
Quelles leçons peut-on tirer de la présidentielle du 11 avril dernier au Bénin ?
Il y a trois enseignements à tirer de la présidentielle du 11 avril 2021. Le premier enseignement est que, organiser de façon régulière les élections, n’est pas synonyme d’une bonne santé démocratique. Résumer le fonctionnement démocratique au Bénin à l’organisation régulière des élections est une utopie.
Depuis deux décennies, nous nous sommes contentés d’organiser les élections, sans nous soucier du bon fonctionnement de la démocratie, par de bonnes pratiques et des mécanismes aseptisés, surtout une exigence sur la qualité des acteurs censés animer notre système démocratique. Car, il faut y penser : comment la brillante et l’excellente alternance démocratique saluée par tous peut nous conduire dans la situation quasi-chaotique d’aujourd’hui ?
Le deuxième enseignement, est que depuis 2016, nous sommes dans une nouvelle ère politique qui fait de l’acteur politique, un être envers qui, il faut être très exigeant. Et cela s’est reflété dans l’élection présidentielle de 2021 où la classe politique a été totalement dynamitée. Les adversaires du président Patrice Talon se sont laissés facilement verrouiller.
Dans l’opposition, nous avons quand même deux anciens présidents de la République, ce n’est pas rien. S’ils se sont retrouvés limités dans les moyens d’action, cela veut dire, qu’il y a un véritable problème. Au-delà de tout, il est compréhensible que l’exécutif ne fasse pas des réformes pour avantager l’opposition politique. En revanche, il est impérieux pour l’opposition de se doter des moyens d’action légaux, des moyens de pression qui lui permettent de peser dans les rapports de force politique. En politique, il n’y a pas de citadelle imprenable dit-on, il n’y a que des citadelles mal attaquées. Donc, les stratégies et actions de l’opposition sont-elles à la hauteur de ses ambitions et des enjeux ? Je ne crois pas. Je ne dédouane pas l’exécutif, mais je pense qu’il faut être réaliste sur la conception que ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ont de l’Etat et de la Démocratie. Ils prônent un Etat fort et une démocratie contrôlée. Il faut en être conscient.
Troisième enseignement, je ne suis pas sûr qu’avec cette élection présidentielle, les rapports entre le citoyen et les hommes politiques se sont améliorés. Le taux de participation a révélé un malaise profond, une rupture des Béninois avec la chose politique. Et c’est suffisamment inquiétant pour l’opposition et pour la mouvance aussi.
Quels enseignements peut-on tirer des résultats du scrutin présidentiel de 2021?
Le fait que les électeurs ne soient pas sortis n’est pas une déclaration d’amour pour l’opposition. Encore moins une désapprobation du bilan de l’exécutif. Par le passé, il y a toujours eu une économie autour des élections au Bénin. La vendeuse du coin trouvait son compte en écoulant des sachets d’eau dans les meetings, l’imprimeur a beaucoup de marchés de confection d’affiches etc. Cela ne veut pas dire, que l’argent est un déterminant du vote.
Il ne faut pas confondre achat de conscience et occasions découlant d’une période que les Béninois considèrent comme des retrouvailles. Le fait de verrouiller le jeu électoral a entraîné chez ces agents économiques une perte colossale. Les gens se mobilisaient pour aller voter pour ceux qui leur ont permis de gagner un peu d’argent dans le processus électoral.
Le fait que les électeurs ne soient pas sortis n’est pas une déclaration d’amour pour l’opposition. Encore moins une désapprobation du bilan de l’exécutif
De même, les électeurs, au-delà des querelles politiques, ont le sentiment que l’élection n’est plus une fête, un rendez-vous de partage où l’échange reste convivial et ouvert à tous malgré les divergences idéologiques. Certains observateurs, disons aussi les électeurs, ont eu le sentiment qu’il s’agit d’une élection à guichet fermé, donc sans enjeu. Or, s’il n’y a pas d’enjeu pourquoi aller voter ?
Quel rapport entre la démocratie et le développement, thème central de la campagne électorale de cette année ?
D’abord, nous avons déjà expérimenté pendant 17 ans un régime de dictature pour les résultats que nous connaissons. Il faut comparer cette période à la période du renouveau démocratique pour en tirer les conséquences qui s’imposent. Disons que certains acteurs politiques se sont servis du nexus démocratie-développement pour ne pas aborder les préoccupations sociales pendant la présidentielle. Aucun candidat ne s’est vraiment déterminé par rapport aux questions de l’énergie, de la santé, des infrastructures, de l’éducation à part ce qu’on connaissait déjà.
Le choix entre la démocratie et le développement a cristallisé l’opinion pour la première fois pendant le second mandat de Boni Yayi qui avait expressément utilisé le terme de « dictature du développement ». Il y a effectivement qu’au Bénin aujourd’hui, la jouissance de certaines libertés individuelles sont soumises au regard de ce qu’on a observé jusque-là.
On s’est demandé si les lois n’étaient pas faites uniquement, que pour ceux qui ne sont pas d’accord avec le régime en place. Cependant, il faut faire confiance aux autorités judiciaires qui sont les seules responsables des procédures judiciaires dans notre pays.
Le choix entre la démocratie et le développement a cristallisé l’opinion pour la première fois pendant le second mandat de Boni Yayi qui avait expressément utilisé le terme de « dictature du développement »
Par ailleurs, nous n’avons pas su pendant cette élection, relever le défi de concilier la lutte contre l’impunité qui est une exigence démocratique et le respect des principes élémentaires d’une justice équitable. Au-delà du Bénin, c’est un problème qui se pose dans les pays d’expression francophone de l’Afrique de l’Ouest. Les procédures judiciaires sont désormais utilisées, au nom de la lutte contre l’impunité, pour structurer les rapports de force politiques et influencer les élections.
Pour les acteurs qui ne sont pas d’accord les régimes en place, la détention provisoire était devenue la règle et la liberté provisoire l’exception. Comme solution, je propose qu’il faille un véritable débat sur la problématique voire légiférer spécialement pour que sur ces cas-là, la détention ne soit pas la règle. C’est une question de dignité humaine.
Quelle a été la place de la jeunesse dans le scrutin présidentiel et dans le débat ?
Les jeunes ont démontré qu’ils ont passé le cap des droits civils et politiques. Ils estiment que c’est un acquis. En effet, une bonne partie de ceux qui ont voté en 2021, ont moins de 35 ans. Ils sont généralement nés vers la fin des années 1980 et le début des années 1990. Ces jeunes n’ont vécu que sous la démocratie et donc, une bonne partie d’entre eux est surprise, que les questions liées aux principes démocratiques soient mises sous le tapis aujourd’hui. Avec les réseaux sociaux, ils sont très actifs et il est encore plus difficile de les convaincre du contraire. L’exécutif doit en tenir compte.
Les droits économiques et socio-culturels étaient le parent pauvre du débat électoral. Il n’y a pas eu de répondant. Même les entités de jeunesse au sein des partis politiques n’ont pas été suffisamment outillées pour porter ce combat-là dans l’espace public devant leurs congénères. Dans la formulation des offres politiques, les aspirations de la jeunesse étaient sous-entendues y compris la question de l’emploi.
Ces jeunes n’ont vécu que sous la démocratie et donc, une bonne partie d’entre eux est surprise, que les questions liées aux principes démocratiques soient mises sous le tapis aujourd’hui
D’ailleurs, de nos jours, Il n’est plus facile pour les forces politiques de mobiliser et de fédérer spontanément les jeunes autour d’une cause ou d’un combat sans faire sortir de l’argent. Le désintérêt des jeunes pour la chose politique a faussé la qualité du débat politique par conséquent du débat électoral.
Le président de la République lui-même sur le terrain, n’est pas suffisamment allé au fond de la question, ni en termes de bilan ni en termes de perspectives à part ses promesses de réformes universitaires qui ne sont pas une nouveauté.
Les droits économiques et socio-culturels étaient le parent pauvre du débat électoral
On aurait aimé assister à des débats sur les campus, entre les duos de candidatures, organisés par la HAAC en partenariat avec les médias, pour permettre aux électeurs, notamment les jeunes, de s’imprégner suffisamment des projets de société des candidats. Par exemple, trois débats avec le grand public sur des thématiques différentes entre les candidats titulaires et trois débats entre les colistiers organisés dans les régions ou au niveau des centres universitaires auraient été une très bonne idée je crois.
Quels mécanismes pour assurer une relève dans les partis politiques ?
En matière de formation au leadership public, le Bénin ne peut plus se contenter de ce que font les ambassades ou les partenaires techniques et financiers. Il faut donner la chance à la formation au militantisme dans les formations politiques. Si nous voulons vraiment avoir une relève de qualité, une partie du financement des partis politiques doit être affectée à cette activité suivie d’un contrôle. C’était une proposition qu’on devait discuter pendant la réforme du système partisan. Maintenant que la réduction du nombre de partis est un acquis, il faut penser sérieusement aux jeunes et aux femmes.
Quels sont les principaux enjeux du second mandat du président Patrice Talon ?
Le grand enjeu est l’apaisement du climat politique. Les élections législatives de 2023 seront très déterminantes pour concrétiser la paix. Il faudra qu’il y ait d’autres tendances au parlement en dehors des deux blocs présents actuellement. Avec des députés de l’opposition à l’Assemblée nationale, les militants qui se sont manifestés violemment pendant la période électorale, vont se sentir pris en compte.
L’élection de 2023 commence à préparer l’élection présidentielle de 2026. La réforme du parrainage oblige donc à ouvrir le jeu électoral pour permettre aux partis politiques de l’opposition d’avoir également des parrains qu’ils soient députés ou maires en vue de la bataille de 2026. Il faudra laisser le choix aux Béninois de confier à divers niveaux, les destinées du pays à qui ils veulent. La démocratie a besoin de la participation citoyenne pour être vivifiante.
Le volet social est aussi un enjeu capital pour la paix. Une meilleure redistribution des richesses produites pendant le premier mandat, permettra aux populations de juger véritablement de la bonne santé économique du pays tant vantée par les pouvoirs publics. Il ne s’agira pas forcément d’augmenter les salaires et primes. La population active au Bénin évolue à 95% dans le secteur informel. Elle n’a pas les moyens de se soigner.
Il faudra laisser le choix aux Béninois de confier à divers niveaux, les destinées du pays à qui ils veulent. La démocratie a besoin de la participation citoyenne pour être vivifiante
Le gouvernement a intérêt à rendre opérationnel et accessible à tous les Béninois, le programme Assurance pour le renforcement du capital humain (ARCH) qui promeut une Assurance maladie Universelle. Il faut une implication de tous les acteurs politiques. Nous avons besoin d’instaurer un système de gestion efficace et efficiente sur le projet ARCH, car la maladie ne connait ni « mouvancier » ni « opposant ». Ce sont des questions sur lesquelles, nous voulons voir tous les acteurs travailler ensemble.
Ensuite, il n’y a pas de démocratie sans débat et le débat est un vain mot si on ne sait pas s’écouter, si on n’a pas des références. Le président de la République peut prendre l’engagement de réorganiser tout ça. L’enjeu sera d’ériger des repères immuables, un minimum sur lequel tout le monde s’entend en matière de gouvernance démocratique.
Ensuite, il n’y a pas de démocratie sans débat et le débat est un vain mot si on ne sait pas s’écouter, si on n’a pas des références
A titre d’exemple, nos relations avec le Nigéria peuvent faire l’objet d’une entente institutionnalisée entre l’élite politique et administrative. Chaque nouveau gouvernement devrait savoir à quoi s’en tenir sur les questions économiques, géopolitiques, culturelles, sécuritaires, etc. avec notre grand voisin de l’Est.
Enfin, les acteurs politiques ont battu campagne pendant la présidentielle sans se demander si dans cinq ans ou dix ans, l’existence même de l’Etat ne sera pas remise en cause. Les problématiques sécuritaires, questions cruciales aujourd’hui, n’ont pas été abordées alors même que nos frontières sont menacées par la percée des djihadistes dans la zone sahélienne.
Les acteurs politiques ont battu campagne pendant la présidentielle sans se demander si dans cinq ans ou dix ans, l’existence même de l’Etat ne sera pas remise en cause
Le président de la République doit porter un leadership national sur cette question en amenant la classe politique dans sa diversité y compris les anciens présidents de la République, à parler le même langage sur un problème qui menace notre survie. Normalement, quand le président prend la parole sur certaines préoccupations qui engagent l’avenir de la Nation, il doit dégager une certaine confiance à telle enseigne que, même si je suis de l’opposition, je dois le soutenir et le suivre au nom de l’intérêt collectif.
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