Au-delà de la criminalité : Perceptions juvéniles de la radicalisation et de l’extrémisme violent au Nord du Bénin, Timbuktu Institute, 2024

Au-delà de la criminalité : Perceptions juvéniles de la radicalisation et de l’extrémisme violent au Nord du Bénin, Timbuktu Institute, 2024

Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.

 

Auteur : Timbuktu Institute

Type de publication : Rapport 

Date de publication : Septembre 2024

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Introduction 

Les études sur la radicalisation des jeunes et l’extrémisme violent se sont multipliées ces dernières années notamment dans la région sahélienne avec la recrudescence du phénomène terroriste en tant que menace à la paix et la stabilité des États de la région. De phénomène perçu, à l’origine, comme l’antichambre du basculement vers la violence terroriste, la radicalisation revêt de plus en plus d’aspects qui en font évoluer les définitions et les perceptions. Les approches successives d’un tel phénomène se sont enrichies de la diversité des expériences, selon les pays, qui a poussé les experts à analyser la radialisation comme la résultante d’un processus, de facteurs ou de conséquences politiques, économiques, sociales, idéologiques etc. Cette radicalisation se manifeste par l’usage de la violence comme moyens d’affirmation, d’expression ou de revendication les plus diverses. Mais, très vite, l’étude du phénomène de radicalisation va être victime d’une part de la popularité d’un « sujet parfait » pour le sensationnel médiatique surfant sur le caractère spectaculaire des attaques terroristes qui tendent à déborder de l’épicentre sahélien vers des zones insoupçonnés comme le golfe de Guinée.

Pour le cas du Bénin, plusieurs études font état de sa proximité géographique avec les pays sahéliens victimes de l’insurrection des groupes armés terroristes, la porosité des frontières, la faible présence de l’État dans certaines régions, les conflits communautaires, le chômage des jeunes, la corruption, l’injustice, les inégalités sociales et bien d’autres facteurs. Malgré les dispositions, les efforts et les mécanismes mis en œuvre par l’État pour contrer cette avancée, la situation sécuritaire se dégrade progressivement dans les départements de l’Alibori et de l’Atacora.

Depuis la première attaque terroriste enregistrée en 2019, le nombre d’incidents terroristes sur le sol béninois, notamment dans le septentrion, est en hausse avec un nombre de morts croissant, de blessés et de déplacés. S’inscrivant dans une démarche compréhensive et à partir de la perception des populations locales, Timbuktu Institute a mis à profit plusieurs missions de terrains dans les départements de la Donga, de l’Alibori et de l’Atacora afin de conduire des entretiens qualitatifs auprès de 270 jeunes habitant les différentes localités et communes. En plus de ces entretiens individuels, une dizaine de focus groupes ont été organisés sur site.

Des réponses nationales inadaptées ou mal comprises ?

De 2021 à avril 2023, le Bénin dresse un bilan d’au moins d’une vingtaine d’attaques terroristes sur son territoire notamment dans la partie septentrionale. En janvier 2024, le gouvernement faisait état d’un bilan total de 43 civils et 27 militaires tués. Attaques contre des positions des forces de sécurité et de défense, implantation d’engin explosif dissimulé, enlèvement d’individus ou sabotage d’infrastructures publiques sont quelques-uns de ces actes. Pour faire face à cette menace terroriste, les autorités béninoises ont adopté un certain nombre de mesures. 

Pendant que la société civile s’attelle avec quelques projets de développement et des sensibilisations, les autorités étatiques ont opté plus pour une option à dominante sécuritaire. Ainsi, au lendemain de la première attaque terroriste officielle enregistrée sur le territoire, le gouvernement béninois avait pris des mesures pour contrer les groupes armés terroristes présents sur son territoire. L’une de ces mesures est le déploiement massif des forces armées béninoises (FAB) pour sécuriser le territoire et contrôler les points stratégiques. L’unité chargée de cette mission est appelée la Garde Nationale. Elle est déployée dans plusieurs localités du pays. Depuis son déploiement, plusieurs succès sont à son actif. Les cellules dormantes sont aussitôt détectées et neutralisées, les chaines d’approvisionnement en carburant et en vivre des éléments des groupes armés terroristes sont également rompues. 

Le Bénin, à l’instar des armées de la région semble garder le réflexe de considérer toujours la menace terroriste comme exogène en adoptant une approche qui s’apparenterait plus à celle de la guerre classique et se révèle inefficace contre l’asymétrie de la stratégie des groupes terroristes. Ainsi, malgré les succès enregistrés, le phénomène terroriste semble persister avec une menace qui s’étend depuis le Nord en créant même des espaces de transit à partir de la Donga, voire le Borgou. Malgré les actions militaires sur le terrain, les actes terroristes continuent. 

Durant tous les échanges avec ces jeunes issus des trois départements du Nord, beaucoup ont insisté sur la mise en place d’une politique nationale de prévention de la radicalisation proprement dite distincte des mesures de contre terrorisme inspirée d’une approche sécuritaire, voire criminologique d’un phénomène multiforme. « Les autorités centrales privilégient une approche purement sécuritaire. La création du Haut-Commissariat à la Sédentarisation des Éleveurs montre de manière palpable que pour l’État, il s’agit uniquement de lutter militairement contre la menace. Sa logique occulte l’approche préventive et prospective, qui pourtant doit être complémentaire de sécuritaire », l’approche déplore cet expert travaillant étroitement avec des structures de jeunes dans les départements de l’Alibori et de l’Atacora. Pour lui, « il ne faut pas se voiler la face sur les dynamiques ethnoculturelles en présence. Il ne faudrait pas que l’État persiste dans une stratégie qui ne fera que renforcer le ciblage ethnique avec toutes ces stigmatisations déjà à l’œuvre », ajoute-t-il.

L’analyse des précédents facteurs ont clairement démontré que ce sont les facteurs socio-économiques et les insuffisances des politiques de développement social qui rendent nombre de jeunes perméables aux discours des groupes terroristes. Les facteurs idéologiques facilitant le recrutement et l’endoctrinement se greffent à l’ensemble de ces vulnérabilités. Certaines initiatives importantes ont été prises à cet effet depuis le 17 février 2023. 

Le gouvernement béninois et ses partenaires ont procédé à Parakou au lancement officiel des activités entrant dans le cadre de la mise en œuvre du projet d’appui au renforcement de la cohésion sociale, à la prévention de l’extrémisme violent et à la lutte contre les conflits liés à la transhumance. L’objectif de ce projet était de renforcer la résilience des populations des départements septentrionales confrontées depuis quelques temps aux phénomènes de la radicalisation et du terrorisme.

Le programme régional d’Appui aux pays côtiers (PRAPC – Littoral Regional Initiative de USAID-OTI) s’était aussi inscrit dans cette dynamique d’une approche communautaire de renforcement de la cohésion sociale en impliquant pleinement les jeunes et entamant un dialogue entre les communautés. D’autres initiatives à l’instar de ce projet seraient en cours mais la prise en charge des vulnérabilités socioéconomiques avec de réelles politiques permettant aux jeunes d’accéder aux moyens de subsistance s’avère une véritable urgence.

Recommandations 

Conformément à la méthodologie assumée de cette étude basée essentiellement sur l’écoute des communautés et notamment, les jeunes issus des trois départements, les recommandations proposées seront, aussi, celles émanant des acteurs locaux eux-mêmes. Cette approche a été délibérément adoptée pour rompre d’avec les pré-pensés de même que la réplication de boites à outils et de solutions sorties de leur contexte. Ainsi, les jeunes Béninois des trois départements interrogés ou rencontrés avec des échanges sur le temps long afin d’éviter les biais des interviews circonscrits dans la période que prendrait une étude classique, ont formulé, prioritairement, recommandations suivantes :

  • Atténuation des vulnérabilités économiques en assurant aux populations et, plus particulièrement aux jeunes, la possibilité d’exercer des activités génératrices de revenus mais aussi de l’emploi pouvant procurer des moyens de subsistances (Donga, Alibori, Atacora) 
  • Impulsion d’une dynamique d’auto-emploi par une culture de l’entreprenariat qui renforcerait les politiques de l’emploi et les dispositifs existants (Donga, Alibori, Atacora) 
  • Renforcer la sécurité frontalière et l’équipement des forces de l’ordre, promouvoir la participation citoyenne de chaque citoyen, faire de sérieuses études sur la question de la radicalisation des jeunes, encourager les échanges de pratique et d’expérience (Alibori) 
  • Élaborer, de manière collaborative, un programme national coordonné de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent, l’organisation périodique de concertations communautaires et créer un partenariat avec les communautés décentralisées (Alibori) 
  • Prévention de l’extrémisme violent par la sensibilisation à travers une bonne collaboration entre les autorités locales et les structures de jeunes en donnant toute leur place aux moyens numériques de communication (Donga)
  • Élaborer des projets de plaidoyer à travers des associations de jeunes de chaque localité pour les transmettre et partager leurs préoccupations aux autorités compétentes, les associations pouvant tenir des séances pratiques avec les autorités locales (Atacora) 
  • Créer un cadre de concertation entre les groupements ou associations, réaliser des plaidoyers auprès des autorités locales pour promouvoir le dialogue social, réaliser un plaidoyer auprès des autorités locales pour l’implication des femmes dans les processus de décision, réaliser un plaidoyer auprès des autorités locales pour un dialogue social franc et inclusif (Atacora) 
  • Adopter une approche participative qui implique tout le monde, faire des sensibilisations de masse sur les codes pastoral et domanial, appliquer effectivement la législation en vigueur, implanter des écoles dans les milieux peuls, organiser des visites d’échange pour vulgariser le concept de sédentarisation aux éleveurs (Donga, Alibori, Atacora)
  • Effectuer des interventions directes dans les communautés avec des associations locales, mener des plaidoyers pour la prise en compte des questions de l’agropastoralisme dans les plans de développement communaux, créer des partenariats entre les associations d’éleveurs et d’agriculteurs (Donga, Alibori, Atacora).