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Auteur : Frédérick Madore
Site de publication : Hal Open science
Type de publication : Article
Date de publication : 26 Octobre 2022
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La détérioration de la situation sécuritaire au Burkina Faso, qui a suivi la chute du président Blaise Compaoré en octobre 2014, laissait craindre une diffusion du djihadisme à la Côte d’Ivoire, au Ghana, au Bénin et au Togo. Ces pays côtiers du golfe de Guinée, qui furent longtemps épargnés par cette menace – à l’exception de l’attentat de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire en mars 2016 – ont été la cible d’attaques dans les zones frontalières avec le Burkina Faso et le Niger au cours des dernières années.
Le Bénin a subi sa toute première attaque djihadiste en mai 2019 avec l’assassinat d’un guide béninois et l’enlèvement de deux touristes français dans le parc de la Pendjari. Depuis novembre 2021, les régions au nord du Bénin et du Togo endurent des assauts de plus en plus fréquents attribués à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et la Jamaat Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM).
En effet, le Bénin aurait été la cible de 28 attaques visant des membres des forces de défense et de sécurité et des civils dans ses zones frontalières. Au Togo, dans la nuit du 10 au 11 mai 2022, une attaque djihadiste contre le poste militaire de Kpékpakandi dans le nord du pays fit au moins huit morts et treize blessés. Le 13 juin 2022, le gouvernement togolais décrétait l’« état d’urgence sécuritaire » dans la région des Savanes. À la mi-juillet, des offensives simultanées dans plusieurs localités firent plusieurs morts parmi les civils.
Dérives autoritaires et exactions par l’État au nom de la lutte contre le terrorisme
Au Togo, le Parti national panafricain (PNP), dirigé par Tikpi Atchadam, un musulman, a joué un rôle prépondérant dans les manifestations antigouvernementales de grande envergure qui ont éclaté en 2017. Le PNP a en effet réussi à se construire une solide base populaire au centre et au nord du pays, dans les villes fortement islamisées de Sokodé, Bafilo, Dapaong et Mango, qui étaient auparavant considérées comme la chasse gardée du pouvoir en place.
Le régime de l’actuel dirigeant togolais Faure Gnassingbé, peinant à freiner ce mouvement d’opposition politique (le plus important depuis les soulèvements de 1990-1991 contre son père, le président Gnassingbé Eyadéma), a présenté le PNP comme un groupe ethnico-religieux d’inspiration salafiste et islamiste, voire djihadiste, pour justifier la répression, dissuader la population à soutenir l’alternance politique et chercher à attirer la sympathie occidentale.
Si le Togo n’a toujours pas expérimenté d’alternance politique, le Bénin est souvent cité en exemple pour le dynamisme et la stabilité de sa démocratie. En effet, ce pays a connu trois transferts pacifiques du pouvoir depuis la Conférence nationale souveraine de 1990.
Toutefois, le président Patrice Talon, élu en 2016 et réélu en 2021, est accusé d’avoir opéré un virage autoritaire et de recourir au système judiciaire pour emprisonner des opposants sous couvert d’accusations de terrorisme. En raison de l’adoption d’un nouveau code électoral et d’une nouvelle charte des partis politiques visant à assainir le paysage politique, les législatives d’avril 2019 s’étaient tenues sans aucun parti de l’opposition, une première depuis près de 30 ans.
La présidentielle d’avril 2021 s’est déroulée elle aussi dans un contexte très tendu. Les dossiers des principaux candidats de l’opposition furent écartés par la Commission électorale nationale autonome (CENA), ne retenant seulement que ceux de Patrice Talon et de deux opposants peu connus du grand public.
Les leaders musulmans et « l’épouvantail salafiste »
La menace que constituerait le salafisme n’est pas seulement instrumentalisée par les États, mais aussi par des leaders musulmans eux-mêmes. C’est notamment le cas de certains dirigeants des organisations faitières islamiques des deux pays. Depuis sa création en 1963, l’Union musulmane du Togo (UMT) est considérée par l’État comme le seul interlocuteur officiel de la communauté musulmane. Cette organisation s’est historiquement caractérisée par sa proximité avec la famille Gnassingbé. En effet, nombre de ses responsables ont été d’anciens hauts fonctionnaires, ministres ou politiciens très proches des cercles du pouvoir.
Son actuel président, Inoussa Bouraïma, qui gouverne l’association depuis 2007, fut ministre sous Eyadéma et candidat défait pour le Rassemblement du peuple togolais (RPT) aux législatives de 1994. Quant à l’Union islamique du Bénin (UIB), fondée en 1966, ses dirigeants ont, eux aussi, affiché un soutien presque indéfectible aux différents régimes en place. Les postes stratégiques de l’UIB furent accaparés par quelques individus issus des mêmes familles de notables.
La menace que constituerait le salafisme n’est pas seulement instrumentalisée par les États, mais aussi par des leaders musulmans eux-mêmes. C’est notamment le cas de certains dirigeants des organisations faitières islamiques des deux pays. Depuis sa création en 1963, l’Union musulmane du Togo (UMT) est considérée par l’État comme le seul interlocuteur officiel de la communauté musulmane. Cette organisation s’est historiquement caractérisée par sa proximité avec la famille Gnassingbé.
En effet, nombre de ses responsables ont été d’anciens hauts fonctionnaires, ministres ou politiciens très proches des cercles du pouvoir. Son actuel président, Inoussa Bouraïma, qui gouverne l’association depuis 2007, fut ministre sous Eyadéma et candidat défait pour le Rassemblement du peuple togolais (RPT) aux législatives de 1994. Quant à l’Union islamique du Bénin (UIB), fondée en 1966, ses dirigeants ont, eux aussi, affiché un soutien presque indéfectible aux différents régimes en place. Les postes stratégiques de l’UIB furent accaparés par quelques individus issus des mêmes familles de notables.
Plusieurs médias et analystes donnent souvent l’impression que la propagation du salafisme – fréquemment identifiée comme un risque pour la cohabitation religieuse et menant à l’essor du djihadisme – est un phénomène récent dans la région côtière, favorisé par les ONG islamiques des pays du Golfe.
Pourtant, bien que le champ islamique au Bénin et au Togo demeure largement dominé par le courant Tijaniyya et, dans une moindre mesure, la Qadiriyya, le salafisme ou le wahhabisme – quel que soit le nom qu’on lui attribue – ainsi que le rejet des pratiques soufies telles que le mawlid (célébration de l’anniversaire du prophète) et la vénération des saints sont présents au Bénin et au Togo depuis des décennies.