Peut-on établir un lien entre gouvernance démocratique et amélioration des recettes fiscales ?
La gouvernance démocratique est fondée sur les principes de transparence, de participation et de collaboration. Leur effectivité dans la prise de décision par les pouvoirs publics, accroit la confiance du citoyen-contribuable et améliore de facto sa disponibilité à contribuer, y compris fiscalement, à la mise en œuvre des politiques publiques. De plus, une société libre est un terreau fertile pour l’éclosion des idées et des activités créatrices de revenus.
Dès lors que l’individu est économiquement et socialement « libéré » des chaînes de l’oppression, il devient une source de revenus pour l’État grâce aux activités qu’il entreprend et ce, au regard des opportunités offertes par un environnement juridique sécurisé et une confiance cimentée par le cadre démocratique. Il en est de même pour les investisseurs étrangers, pour la plupart pourvoyeurs directs ou indirects de recettes fiscales. Ces derniers en quête de stabilité et de garanties solides de sécurité juridique, tiennent compte des indicateurs de gouvernance démocratique.
Par ailleurs, sur le plan empirique, des auteurs ont pu établir une corrélation entre le recul des libertés et celui des performances fiscales. Il existe également des études antérieures qui établissent que la démocratie n’était pas une entrave au prélèvement.
Le gouvernement béninois pense que les populations paient aujourd’hui moins d’impôts tandis que l’opinion publique elle, crie à une pression fiscale jamais observée auparavant. Comment restaurer la confiance entre les citoyens, les entreprises et le pouvoir central sur cette question ?
La position du gouvernement est soutenue par le fait que la pression fiscale au Bénin n’est pas satisfaisante. Les critères de convergence de l’UEMOA préconisent un ratio Recettes Fiscales/PIB nominal d’au moins 20 %. Mais depuis 2009, soit plus d’une décennie, le Bénin n’a jamais atteint ce seuil. Ce qui n’est pas le cas de ses partenaires comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Togo. Pour l’année 2020, le taux de pression fiscale s’établissait à moins de 10 %.
Dès lors que l’individu est économiquement et socialement « libéré » des chaînes de l’oppression, il devient une source de revenus pour l’État grâce aux activités qu’il entreprend et ce, au regard des opportunités offertes par un environnement juridique sécurisé et une confiance cimentée par le cadre démocratique
Le ressenti de pression fiscale que vous relayez est lié au fait que la faible performance en matière de taux de prélèvement par rapport au PIB, est sans préjudice de l’accroissement des recettes fiscales nominales. Entre 2011 et 2019, les recettes fiscales ont augmenté au Bénin d’en moyenne 10,77% alors que la moyenne sur la période dans l’espace CEDEAO est de 14,33%.
Quoique limitée, cette augmentation des recettes est tirée par certains impôts particulièrement efficaces économiquement, mais qui peuvent paraître injustes socialement. Il s’agit des impôts sur la dépense, qui, bien que compromis par l’importance de l’autoconsommation et le secteur informel, sont prépondérants. C’est le cas de la TVA dont l’assiette, essentiellement axée sur la consommation, est supportée par les ménages en raison du mécanisme de report sur le consommateur. Elle touche davantage les populations pauvres que celles aisées.
Le ressenti de l’augmentation des recettes sera aggravé en cas d’inflation. Il entraînera une augmentation automatique et mécanique de la TVA du fait du renchérissement des prix ainsi qu’une hausse de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises. Ce ressenti peut s’étendre à d’autres impôts comme celui sur la propriété dont le montant peut connaître une hausse en raison d’une bonification des bases foncières (valeurs locatives) sans que le taux augmente.
Une telle structure fiscale suggère effectivement que l’on s’interroge sur les choix à opérer pour aboutir à un système fiscal considéré comme juste et équitable, et donc accepté par tous. S’il n’y a pas d’accord sur les conditions que doit remplir l’impôt pour être considéré comme juste, l’équité est le fondement essentiel du consentement à l’impôt. Faute de quoi, il ne peut donc exister d’impôt juste et accepté par tous. L’impôt doit en conséquence être juste dans sa façon d’être réparti.
Par ailleurs, pour les citoyens qui s’acquittent de l’impôt, la concrétisation de la couverture des charges à laquelle il est destiné, doit se traduire par la fourniture de services élémentaires tels que l’accès à l’eau, à l’énergie, à l’éducation et à d’autres infrastructures sociocommunautaires. Aussi, veulent-ils s’assurer que l’argent public est bien géré et que la société est en mesure de demander des comptes à tout agent public impliqué dans sa gestion. Tout ceci est de nature à consolider la confiance des citoyens dans les systèmes fiscaux.
Suffit-il, selon vous au Bénin, de baisser les impôts pour diminuer la cherté de la vie ?
La régulation de la conjoncture que permet le budget, et la poursuite des objectifs d’équilibre qu’il poursuit, peut consister en une politique de rigueur pour contenir l’inflation. La politique fiscale par l’utilisation de l’instrument « impôt » peut, en effet, permettre d’aboutir à cet objectif. Mais il s’agit d’un instrument limité qui par lui seul ne peut suffire pour contenir la flambée des prix, dont le reflet est l’inflation et qui se manifeste au niveau des populations par la cherté de la vie.
Moins d’impôts signifie-t-il toujours moins de pauvreté ?
En matière de prélèvement, l’insuffisance comme l’excès sont à éviter. La collecte de l’impôt n’est pas antinomique à la réduction de la pauvreté, car l’impôt est nécessaire pour financer les politiques de réduction de la pauvreté.
De plus, l’impôt n’a pas que pour fonction de mettre à la disposition des pouvoirs publics, les ressources. Il permet également de corriger les inégalités par le système de progressivité ou de la personnalisation ; c’est-à-dire la prise en compte de la situation du contribuable à l’occasion de l’imposition.
C’est également un instrument que les pouvoirs utilisent pour promouvoir des activités économiques à travers des facilités fiscales au profit de certaines activités économiques ; en vue de stimuler la croissance et réduire la pauvreté. Ceci à travers des incitations fiscales sous forme d’exonérations, d’abattements, de crédits d’impôts, de réductions de taux et d’aides sous forme de paiement et qui visent entre autres à soulager les couches les plus vulnérables.
Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de veiller à ce que les impôts, notamment ceux prélevés sur la consommation, qui occupent une place significative dans la structure fiscale, ne renchérissent pas les coûts au point de limiter l’accessibilité des couches les plus vulnérables aux produits de première nécessité comme les produits alimentaires, l’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau potable et à l’électricité. La quête de recettes ne doit pas être un frein à « l’abordabilité » de ces besoins cruciaux.
C’est à cela que répond l’exonération de TVA sur les produits de première nécessité ; ou encore l’exonération d’une certaine tranche du revenu salarial, de l’impôt sur les traitements et salaires en vue de ne pas amputer injustement le pouvoir d’achat des revenus les plus modestes.
Quelles sont les solutions que vous préconisez dans votre livre pour une intégrité du système de collecte des ressources en Afrique et particulièrement au Bénin ? Comment redistribuer le pouvoir fiscal à l’échelle nationale ?
La traçabilité permet de garantir l’intégrité du système de collecte. L’un des meilleurs moyens d’y parvenir est de privilégier les téléprocédures. Ces dernières ont l’avantage de limiter les aléas et autres risques liés au contact physique comme les scènes de tension entre le percepteur et le contribuable. Les téléprocédures donnent des gages sur le fait que l’administration est en mesure de surveiller et de contrôler l’atterrissage des fonds recouvrés au profit du trésor public ; ce qui encourage le civisme fiscal.
Le développement souhaitable des nouveaux outils de collecte, ne doit pas rimer avec « la désertion fiscale » par l’État, de certaines zones, dans un contexte d’expansion de groupes extrémistes qui occupent les espaces abandonnés par les États, y compris sur le plan fiscal
Quel est votre regard sur les nouveaux outils de collecte d’impôts en Afrique ? L’analphabétisme et le fossé numérique entre les territoires ruraux et les milieux urbains, garantissent-ils leur efficacité ?
Tout impôt doit être perçu à l’époque et selon le mode que l’on peut présumer les plus commodes pour le contribuable. Les nouveaux outils développés dans le cadre de la collecte de l’impôt participent justement des commodités contemporaines visant à réduire le coût d’acquittement de l’impôt. Il s’agit notamment du déplacement du contribuable au local du percepteur, le temps passé dans les files d’attente, en un mot, toutes choses qui ont un impact sur l’acceptation du prélèvement ou le civisme fiscal.
Une étude menée en Afrique australe atteste que l’utilisation des plateformes électroniques a permis d’améliorer la mobilisation des recettes fiscales tout en diminuant le coût du respect des obligations fiscales. Mais en raison des disparités géographiques et sociales, il importe de maintenir au profit des zones et des populations « numériquement isolées », les modes traditionnels de collecte.
Qu’elle s’opère en présentiel ou via un dispositif virtuel, la rencontre entre l’administration et le contribuable est l’une des rares occasions qu’ont les citoyens de rencontrer l’État incarné dans la personne des représentants du fisc. Le développement souhaitable des nouveaux outils de collecte, ne doit pas rimer avec « la désertion fiscale » par l’État, de certaines zones, dans un contexte d’expansion de groupes extrémistes qui occupent les espaces abandonnés par les États, y compris sur le plan fiscal.
Comment appréciez-vous les mesures fiscales qui ont été prises pendant la crise sanitaire de Covid-19 et quelles leçons à tirer pour les pays africains ?
La crise sanitaire de la Covid-19 et les mesures de restriction limitant la circulation des biens et des personnes, ont affecté la capacité des États à mobiliser les ressources fiscales en raison de la contraction des activités économiques sur le plan mondial. Il s’en est suivi une baisse considérable des recettes fiscales. Tout ceci a remis au jour la nécessité d’une politique expansionniste « quoi qu’il en coûte », y compris en recourant à l’endettement et la générosité pour préserver les ménages et les entreprises les plus vulnérables. Cette politique budgétaire expansionniste était requise pour limiter les conséquences néfastes de la crise, stimuler la consommation des ménages, l’investissement des entreprises et la relance de l’économie. Il faut pour l’avenir penser à la mise en place de politiques fiscales plus résiliantes.
Quelle place occupent les questions de décentralisation et de gouvernance participative dans l’impôt ? Une politique fiscale décentralisée est-elle gage du développement local ?
Au cœur de la problématique de la décentralisation et de la libre administration des collectivités territoriales, se pose le problème du financement, c’est-à-dire la mobilisation des ressources, pour qu’elles exercent les compétences qui leur sont reconnues par la loi.
La décentralisation ayant pour corollaire financier l’autonomie, celle-ci se mesure à l’aune de la capacité des collectivités territoriales à disposer des ressources suffisantes. Si ces ressources proviennent de diverses sources, c’est surtout la capacité d’une collectivité à mobiliser ses ressources propres, notamment celles fiscales, qui est le principal indicateur de la bonne qualité de son management.
La part significative des ressources propres dans les ressources financières locales constitue en effet une garantie d’autonomie vis-à-vis des institutions financières, des partenaires éventuels et de l’État. Dans un État comme le nôtre, les collectivités locales n’ont pas de pouvoir fiscal autonome. Les politiques de décentralisation ne manquent toutefois pas de leur transférer certains impôts dont les modalités de mise en œuvre résultent de la compétence du législateur national, avec une possibilité strictement encadrée de fixation de taux et de tarifs par les assemblées délibérantes locales.
Crédit photo : WATHI
Ben Aymar Yêhouessi
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