Le parcours de Gabin Djimasse
Après mon cursus primaire et secondaire, j’ai étudié la sociologie à l’Université nationale du Bénin devenue par la suite Université d’Abomey-Calavi. J’ai quitté l’université car j’ai été taxé de membre du Parti Communiste de Danxomè, parti qui faisait très peur au pouvoir : le Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB). Ma pauvre mère était responsable de différentes instances du système : au parti, à l’Assemblée nationale, au bureau exécutif, et au secrétariat du PRPB à l’échelle départementale. Elle était donc très mal à l’aise avec la situation.
À l’université, les conditions d’études étaient compliquées : il n’y avait pas assez de bus, suffisamment de salles de classe, il fallait se battre pour prendre le bus, pour manger. Je me suis donc dis que je préférerais aller à l’école de la société. Je suis revenu à Abomey et je me suis servi de la méthodologie que j’ai appris en sociologie. Je me suis rendu au sein de grandes familles religieuses autour du roi de Danxomè. Cela m’a permis de faire une typologie vaudou. Je me suis initié à nouveau, ce qui m’a pris en tout cinq années.
J’ai ainsi compris que pour maitriser l’histoire du royaume de Danxomè, il faut nécessairement aller dans les couvents. Beaucoup de choses se disent sur ces lieux où se déroulent la formation des adeptes vaudou mais la réalité que j’ai appréhendée à l’intérieur m’a transformé. Au même moment, j’étais surveillé car les prêtres vaudou ne comprenaient pas ce que je cherchais, moi, jeune intellectuel. Ils se demandaient si j’étais là pour dévoiler leurs secrets. Ils ont fini par comprendre que j’étais là pour défendre leurs intérêts et ceux du Danxomè. Aujourd’hui, je suis considéré comme le grand défenseur de ce monde qui m’a complètement remodelé et qui m’a donné de nombreux enseignements. Je ne regrette pas cette expérience. Je suis devenu un grand collectionneur d’objets d’art et de culture vaudou qui sont aujourd’hui très recherchés pour les deux musées : le Musée international du Vaudou à Porto-Novo et le Musée de l’épopée des amazones et des rois du Danxomè (MuRAD).
Le projet du Musée de l’épopée des amazones et des rois du Danxomè
Le site des palais comprend quatre espaces dédiés respectivement aux rois Guézo (1818-1858), Glélé (1858-1889), Béhanzin (1889-1894), et Agoli-Agbo (1894-1900). Ces espaces recevront des aménagements et quelques réhabilitations, sans oublier le nouveau musée à construire à côté de la cour des amazones. Cet ensemble d’infrastructures à réaliser prend en compte l’ancien site de l’Institut français d’Afrique noire.
Nous allons également construire une réserve pour les pièces non-exposées et aménager un pied-à-terre pour les sapeurs-pompiers afin d’assurer la sécurité du site. Concernant l’infrastructure, nous aurons des salles pour les expositions permanentes et temporaires ainsi qu’une salle réservée à l’histoire des amazones. Ce nouveau musée prend en compte un nouveau discours, celui de la réécriture de l’histoire du royaume.
Nous sommes en train de réécrire l’histoire du Bénin, beaucoup de choses fausses ont été écrites
Ce que les Européens écrivaient était ce qu’ils comprenaient mais les faits relatés manquaient de précision. Ces visiteurs ne maitrisaient pas la langue locale à l’époque. Par exemple, en réalité, il faut parler du « Danxomè » ; c’est différent de « Dahomey ». C’est le colon qui a écrit « Dahomey ». Il y a donc eu une confusion. On va lever un coin de voile sur certaines informations à partager avec les visiteurs et avec le peuple d’Abomey.
C’est dans ce cadre qu’on a parlé des précurseurs du royaume. Aujourd’hui, quand on veut présenter les rois du Danxomè, on commence par Gangnihessou, Dako Donou (1620 -1645), Houegbadja (1645-1685) avant d’en venir aux pères fondateurs. Le comité scientifique a été mis sur pied afin de réfléchir avec les muséographes et les scénographes, et de clarifier la question des précurseurs du royaume.
Il y aura des nouvelles constructions et réhabilitations et elles doivent respecter l’ancienne architecture. Ce musée ne doit pas être en opposition avec ce qui préexistait. Cette ambition a fait que la réalisation du musée a été vraiment lente. Nous sommes très impatients du démarrage mais il fallait prendre le temps car tout doit être bien réfléchi et bien conçu.
Les impacts socio-économiques attendus de la réhabilitation des palais royaux
Avec une telle réalisation, on ne peut s’attendre qu’à un retour sur investissement. Le gouvernement du président Talon a jeté tout son dévolu sur l’industrie touristique. Rien qu’à Abomey, pour sa réalisation, le coût global dépasse la trentaine de milliards de francs CFA. On ne peut pas investir autant d’argent sans espérer un retour sur investissement. Nous nous attendons à ce que la destination Bénin devienne plus connue et plus fréquentée à travers le monde. Jusqu’à lors, on ne parlait pas beaucoup du Bénin en Europe. C’est l’investissement en matière de culture et d’infrastructures qui a fait qu’on entend maintenant parler du Bénin partout. Les gens vont vouloir venir découvrir et il faudra donc pouvoir les accueillir et répondre à leurs attentes. Il ne faut pas qu’ils soient déçus de l’offre sur place. Nous attendons beaucoup de devises de ce lourd investissement dans le tourisme. Le visiteur du musée aura besoin de se loger, il faut donc des hôtels et de bons restaurants.
La ville d’Abomey elle-même doit revoir sa politique de développement urbain pour être en phase avec les grands projets culturels : les infrastructures urbaines, les voies d’accès, leur entretien, il faudra relever plusieurs défis
De nombreux emplois directs et indirects ont été créés. Dans un premier temps, on doit recruter un nouveau personnel pour la médiation dans ce musée, car le discours à tenir n’est plus l’ancien. Il faut que des gens soient formés pour tenir ce nouveau discours et qu’ils soient assez nombreux pour pouvoir accueillir la clientèle qui, on le sait d’avance, va être une clientèle de qualité. Les infrastructures ont besoin d’entretien, il faudra installer du matériel de travail et des gens pour faire ce boulot au quotidien. Le site des palais royaux d’Abomey représente 47 hectares. Le musée est implanté sur le site palatial et ce site doit également être entretenu régulièrement afin qu’il n’y ait pas de déphasage, ce qui nécessite de la main- d’œuvre.
Le site est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1986 ; les riverains du site sont suffisamment informés et sensibilisés sur l’enjeu que représente le projet. Ils sont les premiers à demander quand est-ce que le musée va ouvrir ses portes. Ils seront dans un environnement meilleur que celui qu’ils connaissent aujourd’hui et sont pressés, de voir les aménagements. Il y a beaucoup de retombées positives sur les familles riveraines, qui ne sont d’ailleurs pas nombreuses. Il y a très peu de maisons contigües au site.
Les enjeux de la restitution des 26 trésors royaux au Bénin par la France en février 2022
C’est un projet énorme.
Rien que le Musée du Quai Branly comprend 3 000 œuvres. Il n’y a pas que le Quai Branly, il y a encore des pièces du Bénin au Musée du Louvre, dans des anciennes familles françaises, ou chez d’anciens militaires qui sont partis avec des trésors du Danxomè. On a commencé par un petit bout, ce ne sont que 26 œuvres, mais ces 26 œuvres représentent quelque chose d’énorme pour nous, car personne n’y a cru lorsqu’on en parlait il y a très longtemps. Il a fallu des discussions avec le président Talon afin de connaitre un début d’évolution, de dénouement dans ce domaine culturel. Pour le monde culturel, cela représente le premier pas sur la lune.
Les œuvres restituées au Bénin par la France sont insignifiantes par rapport à tout ce qui a été pillé. A part ces 26 trésors royaux, il en reste encore beaucoup d’autres sur le territoire européen
Cela permet de reconsidérer tout le discours que l’on tenait sur l’histoire du Danxomè. Ces pièces restituées sont d’une facture extraordinaire, montrant que ces artistes et artisans du passé sont meilleurs à ceux d’aujourd’hui. Ils ont réalisé des pièces que leurs descendants n’arrivent même plus à reproduire. À partir de ces trésors, nous allons nous remettre en cause et tendre désormais vers ces maîtrises et finesses de notre passé en matière d’art et d’artisanat. Ces personnes qui ont fait des œuvres extraordinaires entouraient le roi, ils obtenaient un certain prestige à pouvoir lui offrir ces réalisations. La compétition les poussait à sortir du commun et à se valoriser.
Le partage d’expériences et de compétences entre ouvriers béninois et français
Les Compagnons du Devoir sont présents sur le site. C’est un groupe d’ouvriers venu de France et labellisé. Ils sont venus afin d’apporter leur connaissance et interagir avec nos ouvriers et artisans qui avaient l’habitude d’entretenir les bâtiments locaux. Il faut des maçons pour monter les murs, des charpentiers pour concevoir la charpente… ; l’expertise européenne accompagne ainsi l’expertise béninoise.
Avoir un Béninois à la tête du projet permet de valoriser la compétence locale. Le projet est avant tout béninois, il faut donc qu’il soit conduit par un Béninois. Nous savons d’où nous sommes partis et nous savons où nous voulons arriver. Nous sommes en quête d’apprentissage et de partage à savoir vendre ce que nous avons au non-béninois, notamment aux européens, qui jusqu’à preuve du contraire, ont plus de ressources à investir chez nous que nous-mêmes. C’est ça le problème. Nous ne pouvons pas maîtriser cet aspect-là sans Expertise France, sans les européens. Nous avons besoin de leurs savoir et savoir-faire, pour répondre aux attentes des touristes qui viennent de chez eux. Nous n’avons pas les mêmes besoins.
Les défis à venir du secteur touristique béninois
Les défis concernant le développement du tourisme sont énormes. Les Béninois ne font pas du tourisme. Si je prends le cas d’Abomey, il y a des habitants qui ont déjà au moins 70 ans, qui ont vécu au moins sept décennies, mais qui n’ont jamais mis un pied au musée d’Abomey car ils n’en voient pas l’utilité. Que vont-ils apprendre là-bas qu’ils ne connaissent pas déjà ? Nous n’avons pas cette culture-là.
Le tourisme intérieur souffre énormément. Il est rare qu’un béninois se dise spontanément qu’il va aller découvrir telle localité de son pays dont il a entendu parler. Les béninois découvrent leur pays à travers le « tourisme funéraire » ; ce sont les décès qui font déplacer les habitants à travers le territoire national. On évolue de manière très relationnelle. Nous devons nous battre pour que l’Européen ou l’Américain qui arrive chez nous trouve un minimum de confort. Jusque-là, nous n’avons pas la culture du voyage. Vous ne verrez jamais un particulier béninois décréter un mois ou une semaine de vacances. Nous restons à notre poste. Tout ce que nous faisons dans le cadre touristique aujourd’hui est avant tout destiné à l’extérieur, en attendant que les béninois nous rejoignent progressivement. Pour le moment, cela n’est pas encore la priorité. Il a fallu la restitution de 26 œuvres pour qu’ils comprennent, qu’ils peuvent aller voir et apprendre des choses sur l’histoire nationale.
La restitution est fondamentale dans cette sensibilisation, elle a créé un réel engouement. Par exemple, après la restitution, nous avons reçu une personne qui travaillait au Quai Branly et les œuvres ont été présentées au Palais de la République et une visite a été organisée. Il y a eu un engouement fou. Plein de gens sont venus voir les objets restitués, et ils étaient de toutes les catégories sociales et culturelles.
Crédit photo : Globe Reporters
Gabin Djimasse
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