La démocratie détricotée au Bénin, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Mai 2021

La démocratie détricotée au Bénin, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Mai 2021

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Auteur : Mark Duerksen

Organisation affiliée : Centre d’études stratégiques de l’Afrique

Site de publication : africacenter.org

Type de publication : Article

Date de publication : 5 mai 2021

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L’art avec lequel le président Patrice Talon manipule à sa guise les règles électorales et les processus démocratiques a rapidement fait basculer le Bénin, démocratie multipartite, vers un régime semi-autoritaire, ce qui laisse présager une instabilité accrue.

Les élections présidentielles du Bénin du 11 avril 2021 n’ont pas fait grand bruit. Pour tout dire, l’issue était courue d’avance, le président Patrice Talon ayant efficacement barré la route à tous ses concurrents sérieux.

Les acteurs régionaux n’ont pas plus émis d’objections. Une équipe de 16 observateurs de l’Union africaine a fini par conclure que les élections avaient effectivement été « calmes » et qu’elles « s’étaient déroulées de manière paisible ». Notant quand même au passage l’absence de files d’attente et la faible mobilisation, ils ont conseillé de lancer des campagnes de sensibilisation afin d’accroître le taux de participation à l’avenir.

Ces événements montrent qu’une démocratie ne meurt pas seulement de façon spectaculaire sous les coups de boutoir de putschistes, mais qu’elle peut être, rapidement et dans un grand silence, vidée de sa substance si les acteurs nationaux et internationaux ne s’y opposent pas d’une même voix

Ces omissions, ces félicitations et ces encouragements visent pourtant un processus qui couve depuis plusieurs années par lequel M. Talon prend le contrôle du Parlement en empêchant les partis d’opposition de se présenter, en cooptant le personnel judiciaire, en politisant le secteur de la sécurité et en intimidant les médias.

Ces événements montrent qu’une démocratie ne meurt pas seulement de façon spectaculaire sous les coups de boutoir de putschistes, mais qu’elle peut être, rapidement et dans un grand silence, vidée de sa substance si les acteurs nationaux et internationaux ne s’y opposent pas d’une même voix.

L’illégitimité et l’autocratie sont souvent facteurs d’instabilité. Le creusement des inégalités, la corruption en hausse, le tarissement des investissements et la détérioration accrue de l’État de droit sont toujours des éléments annonciateurs d’abus de pouvoir, de crise économique et de conflits.

Un affaiblissement systématique des institutions démocratiques au Bénin 

À la veille des élections législatives de 2019, la commission électorale nommée par Talon a invalidé la candidature de l’ensemble des partis non apparentés au pouvoir en place, au motif d’un défaut d’enregistrement dans les temps. Une fois en place, la nouvelle Assemblée, évidemment dominée par Talon, a approuvé sans discussions une nouvelle loi électorale imposant aux candidats d’être parrainés par les élus en place.

La Cour constitutionnelle béninoise, à la tête de laquelle se trouve l’ancien avocat personnel de Talon, Joseph Djogbenou, a toujours tranché en faveur de Talon, y compris dans les affaires impliquant Djogbenou en qualité de ministre de la Justice, ce qui a entraîné une confusion des responsabilités entre exécutif et judiciaire.

Les organisations humanitaires béninoises tirent maintenant la sonnette d’alarme devant le nombre très important d’arrestations arbitraires dirigées contre des membres de la société civile ayant manifesté devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET)  avant et après les élections. Le gouvernement de Talon présente quant à lui ces arrestations comme « la fin de l’impunité » dans le pays. Mais dans les faits, cette tendance signerait plutôt la fin de la liberté d’expression.

Le nord, majoritairement musulman, s’est marginalisé politiquement sous Talon, avec un phénomène de désaffection des jeunes notamment (39 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté dans un contexte de chômage élevé), une situation que les terroristes exploitent dans leurs activités de recrutement, y compris dans le Niger voisin et dans le nord-ouest du Nigeria

La capacité des médias béninois à couvrir ces événements en particulier et la politique en général a été réduite par l’adoption de lois relatives aux médias qui pénalisent toute critique des pouvoirs publics. Des arrestations arbitraires de journalistes et de membres de la société civile ont été perpétrées par des acteurs du secteur de la sécurité de plus en plus politisés.

Une crise de légitimité qui fait vaciller la stabilité

La crise de légitimité provoquée par Talon risque de marginaliser politiquement certains individus et d’éliminer toute possibilité de dialogue pacifique et de changement démocratique. Les analystes de crédit indiquent par ailleurs que l’instabilité politique grandissante du Bénin pourrait inverser la courbe de ses gains. Sous Talon, la Cour constitutionnelle de Djogbenou a interdit aux travailleurs de différents secteurs publics de manifester après qu’ils ont protesté contre le non-paiement de salaires et les conditions de travail en 2018.

Pour que le Bénin puisse retrouver sa légitimité démocratique, il faudra que la communauté démocratique internationale pointe du doigt les failles des dernières élections. Des élections sans électeurs seront toujours « calmes et pacifiques ». Cela ne les rend pas pour autant légitimes

Les groupes terroristes actifs dans le Sahel ont pris pour cible le nord du Bénin, qu’ils convoitent. Le nord, majoritairement musulman, s’est marginalisé politiquement sous Talon, avec un phénomène de désaffection des jeunes notamment (39 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté dans un contexte de chômage élevé), une situation que les terroristes exploitent dans leurs activités de recrutement, y compris dans le Niger voisin et dans le nord-ouest du Nigeria.

Comment enrayer cet engrenage ?

Les Béninois continuent à résister face à la perte de leurs droits démocratiques par des recours à la justice, des boycotts et des manifestations. Des centaines de personnes ont été arrêtées, d’autres se sont exilées. Talon a neutralisé les contrepouvoirs dans son pays et ne reviendra en arrière que s’il subit un revers politique ou économique tangible. Mais les autocrates qui comprennent qu’ils peuvent usurper le pouvoir et saper l’État de droit s’en tiennent rarement aux balbutiements. Bien au contraire, ces abus finissent par devenir un mode de fonctionnement dans l’exercice du pouvoir.

Pour que le Bénin puisse retrouver sa légitimité démocratique, il faudra que la communauté démocratique internationale pointe du doigt les failles des dernières élections. Des élections sans électeurs seront toujours « calmes et pacifiques ». Cela ne les rend pas pour autant légitimes.  

Un dialogue national digne de ce nom (le « dialogue politique » de 2019 avait exclu l’opposition) et la libération des manifestants et des prisonniers politiques constitueraient un bon départ.